Christianisme et modernité

19-08 at 2:32 (Apologétique, Crise de l'Eglise, Encyclopédie, Heurs et malheurs, Hispanophilie, Lectures, Pensées détachées, Philosophie, Théologie) (, , , , , , , , , , )

« Tout est chrétien, même l’erreur. Ce n’est pas un paradoxe. Le génie du christianisme est si universel, si pénétrant, si radical qu’il imprègne toutes choses. Depuis la naissance du Christ, il n’est rien dans l’homme qui ne soit affecté d’un coefficient religieux. Toute vérité a désormais un aspect religieux. Toute déviation de la vérité, tout sophisme, toute aberration ont une tonalité religieuse. Il n’y a plus d’autre possibilité pour l’erreur de se manifester que sous forme d’hérésie.

C’est là un mystère, un très grand mystère. Mais sans lui l’histoire de l’humanité après le Christ est rigoureusement inintelligible. Sans lui, elle n’est plus, selon le mot terrible de Shakespeare, qu’une histoire de fou, pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot. Si l’histoire a un sens, même dans ses désordres et dans ses chutes, ce sens ne peut être que chrétien. Chaque fois que nous tentons d’aller au fond des choses en matière historique, nous touchons du doigt la présence irréductible et ubiquitaire du christianisme sous sa forme orthodoxe ou sous sa forme hérétique. L’histoire universelle n’a qu’un seul axe le Christ.

Sur le plan social en particulier, tout désordre, tout détraquement s’est toujours traduit depuis le Christ sous forme d’hérésie. Au moyen àge, il n’est point d’attaque contre l’ordre social qui ne soit en même temps une hérésie chrétienne. Le cas des Albigeois est typique à cet égard. Celui du protestantisme à l’aube des temps modernes ne l’est pas moins. Quant à la Révolution française, nul n’a mieux aperçu que Michelet son caractère hérétique. Il l’a exprimé dans une phrase lapidaire « La Révolution continue le christianisme, elle le contredit. Elle en est à la fois l’héritière et l’adversaire »

C’est la définition même de l’hérésie qui sort du sein du christianisme pour le combattre. Comme l’écrivait, voici longtemps, Maritain, « les idées révolutionnaires sont des corruptions d’idées chrétiennes » et « un ferment divin corrompu ne peut être qu’un agent de subversion d’une puissance incalculable. »

Marcel De Corte –  In : La libre Belgique, du 13/XII/1952.

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« Mes opinions et les vôtres sont à peu près de tout point identiques. Ni vous ni moi n’avons aucune espérance. Dieu a fait la chair pour la pourriture, et le couteau pour la chair pourrie. Nous touchons de la main à la plus grande catastrophe de l’histoire. Pour le moment, ce que je vois de plus clair, c’est la barbarie de l’Europe et sa dépopulation avant peu. La terre par où a passé la civilisation philosophique, sera maudite; elle sera la terre de la corruption et du sang. Ensuite viendra… ce qui doit venir.
Jamais je n’ai eu ni foi ni confiance dans l’action politique des bons catholiques. Tous leurs efforts pour réformer la société par le moyen des institutions publiques, c’est-à-dire par le moyen des assemblées  et des gouvernements, seront perpétuellement inutiles.
Les sociétés ne sont pas ce qu’elles sont à cause des gouvernements et des assemblées : les assemblées et les gouvernements sont ce qu’ils sont à cause des sociétés. Il serait nécessaire par conséquent de suivre un système contraire : il serait nécessaire de changer la société, et ensuite de se servir de celle même société pour produire un changement analogue dans ses institutions.
Il est tard pour cela comme pour tout. Désormais la seule chose qui reste, c’est de sauver les âmes en les nourrissant, pour le jour de la tribulation, du pain des forts. »

Juan Donoso-Cortes – In : Où allons-nous ?, de Mgr Gaume, 1844.

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C’est parce que l’esprit de la modernité est l’héritier hérétique du Christianisme qu’on ne s’en débarassera pas par autre chose que le Christianisme orthodoxe. Le Christianisme est ici l’antidote, et c’est le seul. C’est là aussi une des raisons pour lesquels c’est la société qui doit changer avant les institutions. Car le Christianisme n’est pas une enième religion sociale, mais elle s’adresse aux personnes qui composent la société. Qu’il y ait des chrétiens, et il y aura une société chrétienne. C’est alors que le Christianisme reprendra ses droits, que ces cortèges monstres de religiosité dégénérée que sont nos idéologies modernes disparaitront. Car le chrétien ne saurait adorer l’oeuvre de ses mains.

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Aristote et les siens

17-08 at 5:05 (Apologétique, Arabisme, Encyclopédie, Heurs et malheurs, Hispanophilie, Histoire, Islam, Lectures, Philosophie, Théologie) (, , , , , , , , , , , , , , , , )

Nous savons que le péripatétisme n’est pas mort avec son fondateur, mais qu’après une période quasi végétative, cette philosophie devait au Moyen-Age être retenue  comme la plus parfaite de celles que le génie grec avait permis de développer. C’est d’abord en climat chrétien qu’Aristote sera traduit et étudié, puis en climat islamique, de sorte qu’au Moyen-Age, au moment où les plus grands esprits sont des fidèles du Christianisme et de l’Islam la philosophie est résolument aristotélicienne, au sens où elle se veut telle. Car évidemment, parler de l’influence d’Aristote sur les études philosophiques n’est pas nier celle de Platon. Nous savons combien celle-ci a été forte sur la falsafa en Terre d’Islam, par la pseudo « théologie d’Aristote » ; tandis qu’en Terre Chrétienne, l’augustinisme était porteur de références platoniciennes souvent profondes. Par ailleurs, une chose est de se revendiquer d’Aristote, et autre chose est de philosopher en respectant les intuitions premières desquelles vit l’aristotélisme d’Aristote, le premier point n’entraînant pas nécessairement le second.

Parmi ces héritiers d’Aristote sont saint Thomas d’Aquin et Averroès. On ne parle pas chez eux d’une vague influence de l’aristotélisme sur leur propre pensée, mais on veut dire par là que ces deux penseurs se voulaient des disciples d’Aristote, chacun à leur façon. Il convient d’insister un peu sur la façon dont ces disciples se réfèreront au maître. Sans réserve, dans le cas d’Averroès, et sachant que dans son optique, la philosophie est la science suprême. Avec les réserves qu’imposent la foi chrétienne et ses conséquences chez saint Thomas, sachant que sa pensée est avant tout exprimée dans ses œuvres théologiques, et que « la théologie comme science » est la science suprême. Or nous sommes là face à un fait : ces deux géants de la pensée médiévale revendiquent la paternité d’Aristote, et pourtant, n’ont pas la même philosophie. On dispose même d’un opuscule philosophique de saint Thomas d’Aquin qui tente de démontrer que les théories averroïstes sur l’âme sont contraires à l’enseignement d’Aristote exprimé dans son « Livre de l’âme » (De anima), et qu’elles ruinent l’aristotélisme authentique. Nous voudrions ici exposer rapidement où sont ces divergences, de leur racine à leurs conséquences, afin de montrer laquelle selon nous se revendique à bon droit de la doctrine d’Aristote.

L’œuvre d’Averroès est aussi diverse que vaste : traités de médecine, commentaires d’Aristote, des philosophes arabes, traités de droit coranique, opuscules… Tout ne peut se revendiquer d’Aristote, étant donné que tout n’est pas du genre philosophique. Or il est marquant de constater que les œuvres qui ne sont pas à proprement philosophique, ne rejoignent pas forcément l’aristotélisme. Dans le « Discours décisif », en qâdî, il tranche la question de savoir si les croyants musulmans peuvent étudier et pratiquer la philosophie, et répondant disant que cette étude est obligatoire pour une espèce d’homme, et interdite pour les autres. Il n’est pas certain qu’Aristote aurait dit une chose semblable ; on doit à ce dernier cette définition de l’homme comme « animal raisonnable » que les siècles n’ont pu faire oublier tant elle est évidente. Et l’animal raisonnable a le désir de comprendre, si l’on en croit la première phrase du Livre de la Métaphysique : « Tous les hommes désirent naturellement savoir » (Mét. I, 1, 980-22). Averroès utilise les catégories du discours qu’Aristote distingue dans sa Logique, et les attribue à des catégories d’hommes correspondantes,  citant à ce sujet un verset du Coran (XVI, 125), qui selon son interprétation, montre l’existence de trois espèces d’homme ainsi classés selon la façon dont ils assentent (par la rhétorique, la dialectique ou la démonstration). Aussi, le « Dévoilement des preuves » (Kashf), se veut un traité de dialectique énonçant les arguments à avancer face aux écoles de kalâm, qui y vont chacune de leurs thèses propres. Averroès pratique donc cette dialectique, qui nous mène à des résultats loin de ce qu’un lecteur averti comprend de la pensée d’Aristote en métaphysique, et en philosophie pratique.

Si l’on voulait dessiner dans les grandes lignes de divergences entre la philosophie thomiste et la philosophie averroïste, on pourrait la résumer en ce trait, l’expliquer avant tout comme une compréhension différente de ce qu’est l’homme. (Et c’est sans doute en comparant Averroès et Aristote sur cette question et ses corollaires directes que l’on pourrait mesurer avec d’avantage de précision le degré d’éloignement de l’aristotélisme de l’Averroès qâdî (Fasl al-maqâl) et mutakallim (Kashf). Essayons d’y voir plus clair. L’homme se présente pour Aristote comme un composé d’une âme et d’un corps, l’âme étant la forme (De anima. I, 412b5) et le corps la matière. Cette position est à prendre toute entière : matière et forme sont unies en un composé qui est l’homme cet animal raisonnable. Mais ce qu’est une chose, c’est sa forme, et non sa matière. L’homme est donc avant tout, son âme, entendu en ce sens que l’âme dont il est question ici est liée à un corps. Or précisément, comme nous le signalions plus haut, c’est au sujet de l’âme que saint Thomas va s’opposer à l’averroïsme latin et à Averroès lui-même, à partir d’Aristote même. Au Moyen-Age, Averroès est connu des latins comme « Le commentateur », celui par qui on comprend Aristote. C’est à partir de la lecture du texte d’Aristote à travers l’interprétation d’Averroès que des divergences vont naître entre les péripatéticiens. Aristote distingue dans l’âme plusieurs parties, selon le rapport que l’âme entretient avec le corps. Selon Averroès, et ceux qui suivent son commentaire du De anima, l’intellect est une substance séparée, tandis que pour saint Thomas il s’agit d’une partie de l’âme, non liée au corps. Dans la troisième partie de son De anima, Aristote écrit en effet que « la faculté sensible […] n’existe pas en dehors du corps, tandis que l’intellect en est séparé ». Les averroïstes médiévaux (dont Siger de Brabant, aux premières loges), ont tiré à partir de cette  phrase que l’intellect est une substance séparée. Cet intellect est unique pour tous les hommes. Pour saint Thomas au contraire, l’homme est homme non pas par son âme sensitive, mais par son intellect, ou pour mieux dire, usant d’un langage plus authentique, par la partie intellectuelle de son âme.

On le voit, la  dispute mène loin, car la thèse averroïste revient à dire que l’intellect n’est donc pas chose humaine, mais chose en soi, l’homme se définissant dès lors comme un corps formé d’une âme sensitive, pour conserver le langage aristotélicien. On comprend là la cohérence de la pensée d’Averroès. Cette définition de l’homme en fait un individu, mais elle n’en fait pas une personne, si l’on se souvient de la définition que l’on donne de la personne : « substance individuelle de nature intellectuelle», pour reprendre une définition de Boèce. On comprend comment son commentaire de La République de Platon et son plan de répartition de la connaissance exprimé dans son « Discours décisif » se rejoignent profondément, non pas seulement par les liens que l’Islam -religion de la Loi et le Platonisme entretiennent pour ainsi dire naturellement, mais aussi parce que sa vision de l’homme en a exclu tout aspect personnel, c’est-à-dire spirituel.  La loi s’impose à de purs individus dans les deux cas. On saisit aussi, pourquoi, dans le « Dévoilement des preuves » Averroès, s’il fait bien de l’homme la cause de ses actions (rejoignant par là les théories mutazilites), fait de ces causes autant de conséquences du déterminisme universel. C’est qu’il n’y a pas de raison de penser que quoi que ce soit en l’homme échappe à un quelconque déterminisme causal si l’homme n’est rien de plus que son corps et son âme sensitive. La volonté étant une faculté de l’intellect, si celui-ci est considéré comme une substance séparée, l’homme peut difficilement être considéré comme volontaire. A partir de l’interprétation d’Averroès, c’est le champ de la philosophie pratique qui devrait être tout entier redessiné. On sait que l’éthique chez Aristote est fondée sur l’intellect, du fait de cette capacité à discerner le bien du mal, et en ce qu’il fait que l’homme est maître de ses actions. Recherche du bien commun, la politique est affectée de la même manière : tout le champ couvert par la philosophie pratique échappe à l’homme. Il ne lui reste plus qu’à espérer une solution hors de lui.  

Mais derrière la définition de l’homme, c’est aussi la noétique qui est bouleversée. Pour l’averroïste, la connaissance est le fait de l’union de l’intellect possible avec les images que chaque individu produit par son « intellect spéculatif ». Or comme le montre saint Thomas d’Aquin, dans son « De Unitate intellectus », cette position revient à dire que l’homme ne pense pas, mais au contraire et pour ainsi dire, c’est l’homme qui est pensé (la formule est d’Alain de Libera) : en effet, c’est l’intellect qui pense, et ce n’est pas son couplage avec des images que nous produisons qui fera que nous pensons, mais de cette façon, l’intellect pense par l’homme. Dans la noétique thomiste, c’est l’homme qui pense, parce que l’intellect lui appartient en propre. Le sujet connaissant est l’homme –le composé, et non son âme seule, conformément à ce qui a été dit des parties de l’âme et du lien de certaines avec le corps. L’homme reçoit par son corps, des connaissances sensitives, ensuite saisies par le sens commun. L’intellect, partie de l’âme qui n’est pas liée à aucun organe corporel, agit à partir de ces données sensibles reçues par l’âme sensitive. C’est ainsi que l’homme forme des connaissances, et développe une pensée à partir d’elles, et on peut dire que cette activité est ce qui le caractérise singulièrement, d’où  cette définition d’animal raisonnable dans la philosophie d’Aristote. Dire que l’homme pense, c’est dire que la philosophie est une œuvre humaine, dans toutes ses parties, de la métaphysique à l’éthique. Chez Averroès, elle est le produit d’un mécanisme universel, comme la Prophétie d’ailleurs, les deux résultant d’une action de l’intellect agent sur l’intellect particulier du prophète ou du sage. (Mécanisme universel qui fait de la philosophie la parole de Dieu, au même titre que la Prophétie).

Il va sans dire qu’il faudrait développer chacun de ces points davantage pour saisir ces positions et leurs implications en détail. Afin d’en mieux saisir la genèse. Tenter de les résumer à partir de la conception de l’homme est un choix de notre part. Historiquement, les divergences naissent de l’interprétation du De Anima, comme nous l’avons signalé plus haut. Pour départager entre les uns et les autres, c’est là qu’il faudrait en revenir. C’est du reste ce que s’applique à faire saint Thomas lui-même dans son combat contre l’averroïsme, reprenant le texte du De anima selon une traduction de Jacques de Venise, utilisant le commentaire de Thémistius, traduit par Guillaume de Moerbeke. Il revient sur l’exégèse du De Anima, en montrant que l’interprétation d’Averroès va contre le texte, et n’hésite pas à appeler en renfort la tradition des commentateurs grecs et arabes : Thémistius, Théophraste et Avicenne. Saint Thomas veut montrer par là que la lecture averroïste du De anima n’est pas conforme à celle des grands commentateurs. Ceci établit, il s’attache à réfuter les arguments averroïstes, en faveur de leur propre thèse, et contre la thèse qu’il tire lui-même de l’œuvre d’Aristote. Or saint Thomas est catégorique : Averroès n’est pas un péripatéticien, mais un dépravateur de la philosophie péripatéticienne (quam cum Averroes oberrare, qui non tam fuit peripateticus, sed quam philosophie peripatetice depravator. §59). Et force est de constater que les arguments thomistes sont décisifs. Nous ne reviendrons pas sur l’interprétation du De Anima, ce qui nous mènerait très loin, bien plus loin qu’il n’est possible ici. Si l’on s’en tient à ces constatations que nous avons effectuées plus haut, la thèse averroïste qui fait de l’intellect une substance séparée unique pour tous les hommes empêche de suivre Aristote sur des points capitaux de sa doctrine, ce qui apparaît clairement lorsque nous reprenons ces éléments du point de vue de l’homme. Animal raisonnable chez Aristote, il ne l’est plus chez Averroès. Or c’est là un point capital, car on  y retrouve les intuitions premières d’Aristote, desquelles vit toute sa pensée. Aristote est le philosophe du réalisme, épistémologie fondée sur une noétique particulière, et qui s’épanouit en métaphysique « science de l’être en tant qu’être ». Il n’y a pas d’épistémologie réaliste possible sans cette doctrine noétique particulière à Aristote, révélée par le De Anima. Et cette épistémologie réaliste permet une métaphysique -elle en est déjà nourrie, qui ne peut exister sans elle. De l’être à la pensée, en l’homme –être parmi les autres, voici la marche de la connaissance chez Aristote (et ces vues ne justifient pas seulement la philosophie, mais aussi toute science expérimentale, il peut être bon de le rappeler). C’est là aussi qu’Aristote s’écartait de Platon, auquel sur certains points, la théorie averroïste nous ramène.

Outre la lettre des écrits d’Aristote, c’est à partir d’une vue d’ensemble de la pensée d’Aristote que l’on se rend compte de la fausse route dans laquelle Averroès engageait les péripatéticiens. Et parce que ses théories avaient de graves conséquences, noétiques, épistémologiques, métaphysiques, conséquences qui renient les intuitions premières desquelles vit la pensée aristotélicienne, la philosophie d’Averroès n’est pas péripatéticienne comme l’est celle d’Aristote. C’est en Europe Occidentale que l’aristotélisme authentique devait se perpétuer, non pas toujours par, mais parfois contre l’influence du Commentateur, et saint Thomas le théologien est indéniablement un artisan de ce transfert. A ce sujet il est marquant de constater que ce sont les théologiens qui ont combattu l’averroïsme, au nom d’Aristote en ce qui concerne Albert le Grand et saint Thomas, mais aussi au nom de la doctrine chrétienne, qui dit que l’âme est immortelle –ce qui ne se comprend plus selon les théories averroïstes.  Ce n’est pas dire que la philosophie de saint Thomas est celle d’Aristote (ce point est par trop évident, surtout en observant leurs métaphysiques respectives), mais c’est dire que les intuitions premières d’Aristote sont toujours à l’oeuvre dans la pensée de saint Thomas, ce qui permet de qualifier à bon droit sa philosophie de péripatéticienne. Saint Thomas théologien se situe dans le prolongement d’Aristote, et tente de le dépasser de l’intérieur. Averroès en revanche, toujours à partir d’Aristote, prend une tangente qui s’échappe des lignes aristotéliciennes, et qui à terme, ruine l’édifice aristotélicien tout entier.

Aristote a rendu un grand service à la théologie chrétienne au XIIIème siècle. La théologie le lui a bien rendu.

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Pièces à conviction

14-08 at 2:36 (Arabisme, Encyclopédie, Heurs et malheurs, Hispanophilie, Histoire, Islam, Lectures, Philosophie, Théologie) (, , , , , , , , , , , , , )

Dans un article intitulé « Averroès – Science et Foi. Le problème de la raison », que l’on peut lire ici, Dalil Boubakeur tentait de résumer l’essentiel des données du problème dans la pensée musulmane, et de présenter la solution telle que l’œuvre d’Averroès l’enseignait. Nous voudrions montrer rapidement les lacunes de ce texte, les facilités que s’accorde son auteur, suivant une ligne idéologique qui ne tient ni de l’histoire de la philosophie, ni de la philosophie. Ce faisant, nous ajouterons quelques pièces au « dossier Averroès » déjà traité sur ce blog ici, et .

Avant d’entrer dans le vif du sujet, Dalil Boubakeur affirme qu’ « aujourd’hui, ce sont les intellectuels musulmans qui réclament contre l’avis des dogmatistes rigides le retour de sa philosophie [la philosophie d’Averroès], et de la philosophie elle-même, sur la scène actuelle de la pensée religieuse de l’Islam ». Les « dogmatistes » sont rigides, et s’opposent à eux « les intellectuels » : ce manichéisme clairement exprimé dès le début du texte nous donne un avant goût de l’esprit qui anime la suite. Les intellectuels sont avec Averroès, et la philosophie, les autres non. Les derniers partagent tous les torts, les premiers toutes les qualités, nous le verrons en filigrane à travers les descriptions d’un Al Ghazali et d’un Averroès que ce texte nous offre.

Dans un premier temps, le recteur de l’institut musulman de la grande mosquée de Paris va tenter de décrire des points d’opposition de la doctrine d’un adversaire d’Averroès, le grand Al Ghazali, qui a tant mérité de son titre de « preuve de l’Islam ». La position de Ghazali est présentée d’emblée par un titre comme « anti-philosophique ». Et l’auteur d’ajouter entre parenthèses, « ou mystique ». Dès lors, des remarques s’imposent. Il convient de noter dans un premier temps que la littérature islamique en Islam ne s’est pas privée de nourriture philosophique, bien au contraire. Il faudrait donc discuter le sens tout à fait particulier de ce mot « mystique » ici, d’emblée utilisé en une acceptation si réductrice. Sur l’anti-philosophisme d’Al Ghazali, on aimerait aussi des éclaircissements, car il est certain que l’Imam n’a pas apprécié la philosophie, à laquelle il reproche de perdre de vue l’enseignement divin, on sait aussi qu’il n’a pas hésité à entrer dans l’arène philosophique lui-même, pour répondre aux falâsifa en général, et à Avicenne en particulier. Dalil Boubakeur cite un extrait de ce dernier ouvrage de Ghazali, où l’imam dit en substance qu’il n’est pas déraisonnable de croire qu’il y ait des choses qui ne puissent apparaître que possibles à la raison, et non pas nécessaires ; car il se peut que notre intelligence ne puisse pas saisir tout de ce que l’enseignement divin exprime. On peut qualifier cette position de mystique, en donnant à ce mot un sens quasi-péjoratif. Mais on peut aussi refuser d’être aveugle, et remettant la phrase dans son contexte, voir là une thèse rationnelle qui n’a rien d’inconsistant, ni de fantasque. Mais voici Ghazali étiqueté « philosophe spiritualiste », et Dalil Boubakeur nous affirme que ce spiritualisme consiste à considérer « qu’il n’y a de vérité que métaphysique, et que son ou ses objets sont inaccessibles à la science ». Un habitué du vocabulaire philosophique grec, que partagent Avicenne et Averroès, et que Ghazali utilise dans ce fameux livre d’où est extraite cette phrase ne peut que s’étonner que l’on puisse résumer une position en ces termes, puisque la métaphysique est une partie de la philosophie. La métaphysique dont parle Dalil Boubakeur n’est certes pas celle dont parlerait Averroès, ni Avicenne, ni les maîtres grecs, Aristote et Platon -nous y reviendrons. Par toutes ces phrases et leurs insuffisances, nous perdons de vue la position de Ghazali lui-même. On étiquète, on classe, et on moque entre les lignes, mais ce n’est pas tellement Ghazali qui a été critiqué, mais l’idée que Boubakeur se fait de la pensée de Ghazali. Cette idée  n’est pas entièrement fausse, ni surtout, entièrement dénuée d’intuition, mais elle est simplificatrice. Al Ghazali a d’abord reçu l’enseignement du kalâm (disons en guise de définition simple, qu’il s’agit là de la « théologie » musulmane – avec on l’aura compris, de lourdes réserves sur le mot théologie), avant de devenir mutakallim lui-même. Dans une crise de doute, il est amené à lire la philosophie d’Avicenne, qu’il rejettera, constatant qu’elle s’éloigne de l’enseignement obvie du Coran. A ce moment est venu son livre contre la philosophie (le fameux Tahâfut al falâsifa, d’où est extraite la citation que Dalil Boubakeur exhibe dans son texte. La position finale d’Al Ghazali relègue le kalâm au rôle de curateur des esprits malades et juge la philosophie dangereuse. Selon lui, la vérité n’est saisie avec certitude que par la voie mystique (tasawûf), et non pas par le kalâm, ni par la philosophie. C’est à partir de là qu’il faudrait discuter et analyser la position de Ghazali, dans ses subtilités. L’œuvre d’Al Ghazali est difficilement compréhensible en dehors de son contexte existentiel, comme l’est disons, celle de saint Augustin en Christianisme. C’est à partir de cette constatation-là que l’on peut comprendre Al Ghazali, et donner à ses opinions la valeur qui était la leur pour lui. Il ne nous appartient pas de nous livrer à cet exercice –bien trop complexe, au demeurant- ici, mais simplement de signaler qu’il y a pour le moins beaucoup de désinvolture à caricaturer la pensée d’Al Ghazali, et que ce procédé n’est certes pas le meilleur s’il vise à nous convaincre de la pertinence des thèses de ses adversaires potentiels, dont Averroès et Dalil Boubakeur lui-même, sachant par ailleurs que l’histoire de la pensée islamique offre bien plus à penser que cette opposition toute théorique entre « spiritualistes » d’un côté, et « scientifiques » de l’autre.

Mais poursuivons dans notre examen du texte. Après avoir présenté la position ghazalienne, l’auteur va désormais introduire la pensée d’Averroès, à travers deux livres essentiels, pour cette question de la raison en religion : le Fasl al-maqâl, et le Tahâfut al-tahâfut. Du premier livre, Boubakeur nous dit qu’il s’agit d’un « traité dialectique purement aristotélicien ». Il y a là de quoi s’étonner. Le « traité décisif » (ou « Livre du discours décisif », selon les traductions), n’est certainement pas autre chose qu’un traité juridique, posé par un qâdî, un juriste de l’Islam. Il s’agit pour Averroès de statuer sur la philosophie (hikma dans le titre, falsafa dans tout l’ouvrage). Son étude est-elle interdite par la Loi, ou non ? Pour qui ? Etc. On serait bien en peine de trouver une problématique aristotélicienne dans cet ouvrage. Ce n’est pas dire qu’il n’y ait pas d’éléments aristotéliciens dans ce traité, bien sûr : la définition de la philosophie qu’y donne le juriste Averroès est toute pétrie d’aristotélisme, entre autres exemples. Mais le genre de l’ouvrage n’est certes pas philosophique. Et quant à savoir s’il s’y trouve de la dialectique, il se peut, mais non pas au sens aristotélicien du mot. Querelle stérile portant sur des points de détails ? Non, il s’agit là de points fondamentaux pour pouvoir saisir le sens de l’œuvre, et au-delà, la replacer dans le contexte plus vaste de l’ensemble de l’œuvre d’Averroès et en comprendre par là l’exacte portée -y compris sur ce point particulier des rapports entre la raison et l’enseignement divin. Il est vrai que l’image d’un Averroès scientifique en un sens moderne en prend un coup, mais les faits demeurent : le Fasl al-maqâl est un traité de droit religieux.

Suit l’exposition de la pensée d’Averroès, sur laquelle nous n’insisterons pas. Ceux que le sujet intéresse peuvent se reporter à notre post précédent, ici. L’auteur s’attache à montrer le rationalisme d’Averroès, un mot qu’il faut entendre ici dans un sens tout particulier (voir le même lien). Et s’attache à en montrer les qualités qui selon lui, caractérisent son système. (En premier lieu, ce rationalisme est censé aller de pair avec la tolérance : « Enfin, nous dit Boubakeur, Averroès rappelle que la prétention d’accéder à Dieu, au mystère de l’homme et du monde sans la Raison comporte les risques de la déraison, du fanatisme et des passions délétères ». Ultima ratio, derrière laquelle on voit comme un appel à la morale. Il n’y aurait en dehors de la voie averroïste, ou philosophique en un sens plus large, que ténèbres et obscurantisme ? Al Ghazali, par exemple, qu’on nous a décrit comme un auteur hors de raison, dirait-on qu’il s’agit là d’un fanatique ? Et Averroès serait-il lui-même un homme tolérant, heureusement libéré de tout dogmatisme rigide comme on en fabrique à la chaîne aujourd’hui ? Mais peut-être allons-nous vite à juger, et à nous emporter, et ces phrases ne voulaient pas dire ce que nous croyons qu’elles veulent dire. Quoi qu’il en soit de ce point, il reste qu’Averroès ne dit pas exactement ces choses qu’on lui prête dans le Fasl al-maqâl. Il y accuse les « théologiens » de l’Islam, d’avoir divisé les croyants, en se disputant au nom de leurs théories basées sur l’étude du Coran. Ce qui n’est pas sans fondement, loin s’en faut. Mais leur entreprise n’était pas irrationnelle, bien au contraire. Averroès leur reproche de ne produire qu’un savoir de seconde zone, et conformément à sa propre vision des choses, souhaite que leurs théories ne s’imposent pas à ceux qui savent qu’il s’agit là d’un savoir de seconde zone. Il y a bien là une critique visant les défauts de rationalité du kalâm. Mais il n’est pas sûr que la voie philosophique d’Averroès échappe à la qualification de dogmatisme rigide. Elle se prétend savoir par excellence comme le kalâm l’a fait lui-même à son sujet. Averroès estime qu’il faut répartir le savoir en fonction de trois catégories d’hommes distinguées selon leurs aptitudes intellectuelles. Le dogmatisme philosophique serait alors limité à la seule classe des « hommes de science », tandis que « les hommes de dialectique » subiraient un dogmatisme théologique. Quoiqu’il en soit, comment ne pas voir que le sectarisme et le fanatisme des écoles de kalâm ne vient pas de leur irrationalité, mais peut-être au contraire, de leur rationalisme et de l’absence d’un magistère orthodoxe en Islam, d’une autorité religieuse capable de trancher les questions dogmatiques par le haut ? Il n’est pas impossible que la voie ghazalienne soit bien plus à l’abri du fanatisme et du dogmatisme rigide que celle d’Averroès, mais ne prétendons pas trancher la question.

Quant au reste de l’exposé, deux remarques :

1- Boubakeur affirme qu’Averroès voit dans l’enseignement coranique (et plus particulièrement en Coran, XVI, 125), « une invitation à la sagesse, à la Sophia monothéiste qui reconstruit le monde selon un monisme existentiel qui veut qu’il n’y ait qu’un seul Dieu, une seule Nature et une seule substance et que Dieu est l’unique cause de toutes les causes, en particulier dans les domaines de la foi et de la science ». Mais c’est que l’on fait dire au texte plus qu’il n’en dit. Il n’y est pas question de monisme existentiel, ni de « Sophia monothéiste », et pour cause, vu que ce traité est un traité de droit, et non un traité de philosophie. Que la philosophie d’Averroès soit porteuse de ce « monisme existentiel » dont on nous parle, voilà une chose certaine, mais lorsque Dalil Boubakeur place cet élément de métaphysique (ce mot étant pris cette fois au sens qu’il a chez Averroès), sous le concept englobant de « Sophia monothéiste », il nous faut nous arrêter un moment sur cette expression, qui ne se trouve que dans l’esprit de Boubakeur lui-même. Sans entrer dans des explications qui nous mèneraient loin de notre sujet, notons simplement que le monothéisme est une chose, et le monisme existentiel en est une autre. L’un et l’autre sont compatibles, mais cette compatibilité n’est pas nécessaire. N’est-il pas dès lors imprudent de s’avancer à lier l’un et l’autre comme la cause à l’effet ?

2- Enfin, il est clair que le vocabulaire de Boubakeur donne à des mots un sens tout différent que celui qu’ils ont dans l’œuvre d’Averroès. On peut en juger par cette phrase : « On ne peut donner meilleur sens à la recherche philosophique qui va intégrer dans une fusion sans rupture ni confusion les données de la connaissance : théologie qui a Dieu pour objet, métaphysique qui concerne le sens de l’existence humaine, enfin scientifique qui s’efforce de rendre l’univers intelligible et mesurable ». Le sens authentique du mot métaphysique est ici complètement voilé, remplacé par le sens moderne, d’un langage courant. S’il n’était pas perdu de vue, on saisirait mieux comment la recherche philosophique peut intégrer la théologie, surtout sachant combien le Dieu d’Averroès n’est pas le Dieu des Chrétiens, ce Dieu qui S’est révélé, mais un Dieu de connaissance naturelle, celui dont s’occupe la théologie naturelle dans la pensée chrétienne. Une autre phrase : « Mais fidèle en cela aux Analytiques d’Aristote, Averroès refuse à la métaphysique le rôle primordial dans la hiérarchie des sciences. Elle est ce qui vient après les sciences, comme la ‘clé de voûte qui achève le bâtiment et fait tenir l’ensemble. Elle ne saurait être à la base de la construction’ – (Arnaldez) ». Ici, c’est le mot « primordial », dont le sens est à préciser. La métaphysique –une fois encore, entendue au sens aristotélicien du terme, sens dont Boubakeur ne semble pas soupçonner l’existence- est primordiale chez les aristotéliciens, au sens exact que lui donne la citation d’Arnaldez : clef de voûte. Primordiale aussi en ce sens qu’elle tient tout l’édifice, en ce sens qu’il n’y a pas de proposition philosophique qui ne soit pure d’un soubassement métaphysique exprimé ou non.

La suite du texte que nous commentons dresse une couronne de laurier à Descartes et à Hegel. Au premier, parce que, nous dit-on il est celui «qui a fait de la raison le seul instrument universel de la connaissance ». Sauf que lorsque saint Thomas dit que la seule façon de discuter avec les Musulmans est d’utiliser la raison, parce que Chrétiens et Musulmans ne confèrent pas la même autorité à la Bible, il considère déjà la raison comme un instrument universel de la connaissance. Et à moins que le genre humain ne se retrouve tout entier réuni un jour par la même foi, la raison restera le seul instrument répondant ayant cette caractéristique. Mais peut-être Dalil Boubakeur ne voulait-il rien dire de tel, mais seulement affirmer par des mots maladroits que la méthode cartésienne est la seule scientifique. Cela est fort douteux, mais –encore une fois- c’est un autre sujet. Mais surtout, cette méthode n’étant pas celle d’Aristote, le maître à penser d’Averroès, il va falloir choisir, et on se demande alors si l’on doit tant que cela apprécier la position averroïste si ce n’est qu’après lui, et sans son concours que l’on a trouvé une si bonne méthode. « L’attitude scientifique, nous dit-on, n’est pas spontanée chez l’homme, elle est un produit tardif de l’histoire. » Oui, mais peut être est elle moins tardive que ne le croit Boubakeur. Quant à la position de Descartes, qu’on nous assure être « scientifique » sans nous en donner la moindre preuve, il peut être bon de noter qu’elle n’est pas spontanée chez le philosophe, ni même naturelle à l’homme, ne serait-ce que pour ne pas s’imaginer que l’on peut en finir avec ces questions en deux jugements à l’emporte pièce. Il y a quelque chose de très irritant, à lire ces lignes qui vous balancent des opinions sans argument, et même en fermant toute possibilité argumentative par leur façon de poser le problème, et le vocabulaire qu’elles emploient. Si seul Descartes est scientifique, alors on ne peut même plus discuter de la valeur scientifique des écrits des anciens. La discussion est close. Dommage. Surtout de la part d’un homme qui veut s’opposer aux dogmatistes rigides.

Enfin, Dalil Boubakeur revient sur la question de l’héritage d’Averroès dans le monde latin, en citant Renan, et saint Thomas. Quelques mots là-dessus. Avant toute chose, sans vouloir la disqualifier, ni même la négliger, l’œuvre de Renan date, et sa propre philosophie l’a rendu bien incapable de saisir des choses qui dans ces pensées religieuses que sont les philosophies médiévales, sautent aux yeux d’un fidèle. Mais que dit Renan dans cette citation ? « Saint Thomas d’Aquin est à la fois le plus sérieux adversaire que la doctrine averroïste ait jamais rencontré et, on peut le dire sans paradoxe, le premier disciple du grand commentateur d’Aristote. Albert le Grand doit tout à Avicenne, et Saint Thomas comme philosophe doit presque tout à Averroès ». En dehors de son contexte, il est difficile de savoir exactement ce que Renan entendait par là. La dernière phrase peut vouloir dire que saint Thomas philosophe s’est servi des commentaires d’Averroès, auquel cas, il n’y a rien à ajouter, si ce n’est cet éloge de Dante : che il gran commento feo ! Ou alors, on entend par là que la philosophie de saint Thomas est celle d’Averroès, ce qui est purement et simplement faux. Quant à Saint Thomas théologien, il est évident que ses vues sont à mille lieues de recouper celles d’Averroès (cf. une nouvelle fois, notre article précédent). D’ailleurs, la citation de saint Thomas qui dans le texte de Boubakeur précède celle de Renan le montre bien. Saint Thomas y parle de la nécessité de la Révélation, afin que l’homme soit instruit de la vérité nécessaire à son salut. Toutes idées qu’Averroès ne ferait pas siennes dans le sens qu’elles ont chez saint Thomas. Si l’on veut chercher une postérité réelle (qui ne soit pas un simple héritage, soumis à un recadrage complet, ou une transformation profonde) à Averroès, c’est bien plutôt en milieu juif qu’on la trouvera. En milieu chrétien, l’averroïsme authentique était condamné ou bien à dégénérer par tout ce qu’implique le changement de climat religieux, ou à être combattu par les maîtres théologiens, comme saint Bonaventure et saint Thomas d’Aquin Tout simplement parce que ces climats religieux sont différents. On voudra bien le comprendre si l’on prend la peine de remarquer que le monothéisme n’est pas le seul dogme que l’Islam et le Chrisitianisme enseignent. L’Islam lui-même n’est pas compréhensible comme la seule doctrine du tawhîd. Que dire alors du Christianisme et de ses mystères ? Ce sont là des choses qui ont compté dans le déploiement de la pensée religieuse, dans les deux religions. Savoir cela,
c’est déjà savoir que la « Sophia monothéiste », espèce de philosophie unique des « monothéismes », dont nous parlait plus haut Dalil Boubakeur, n’existe que dans le monde des Idées, mais pas dans le monde qu’étudie l’histoire. On voit par là les réserves de taille qu’il faut émettre à des phrases telles celle-ci : « Les théologies juive et chrétienne avec Maïmonide et Saint Thomas d’Aquin surent également mettre en complémentarité Révélation et sagesse rationnelle au service d’une connaissance plus globale et du monde et de Dieu ». Dans tous les cas, cette complémentarité prend des formes différentes, répondant à des exigences différentes, et la structure de ces pensées sera différente. Quant à la formule de « connaissance plus globale », elle est au moins obscure, et d’un vague inquiétant.

Concluons brièvement, vu la taille de ce post. Il y a plusieurs leçons à tirer de toutes ces dévidages. D’abord, constat cruel, il semble que l’histoire de la pensée islamique, même vulgarisée, vaut mieux que sa vulgarisation par Dalil Boubakeur. En deuxième lieu, que l’idéologie ne fait pas bon ménage avec l’histoire. Qu’elle n’hésite pas à se l’approprier, mais que le processus historique, des faits vers la théorie (et non l’inverse), permet de se débarrasser de bien des idées préconçues, et de voir plus clairement où se trouvent les vrais problèmes, les lignes de fracture. Enfin, que l’idéologie ne tient pas lieu de philosophie, et qu’au lieu de dresser des couronnes de laurier aux uns et de jeter l’anathème aux autres, on ferait mieux avant tout d’étudier ce qui a été dit, ce qui nous permettrait de jeter des anathèmes et de tresser des couronnes à meilleur escient. Bref, n’est pas philosophe qui parle de philosophie. N’est pas historien qui parle de réalités passées.

Il se peut que se soient glissées des erreurs ici ou là, dans ce trop long texte, et nous prions le lecteur de nous en excuser d’avance, et le connaisseur passant par là de les faire remarquer. Celui qui prétend corriger doit en effet accepter lui aussi d’être corrigé. Si la vérité est à ce prix, qui refuserait de ce soumettre à ce traitement ?

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Pour Saint Thomas

8-08 at 12:04 (Apologétique, Arabisme, Heurs et malheurs, Hispanophilie, Histoire, Islam, Lectures, Philosophie, Théologie) (, , , , , , , , , , , , , , , , , )

(Et accesoirement, afin de répondre,de façon très sommaire et très brouillonne mais néanmoins toute amicale, à Alain de Libera…)

En guise de présentation à un corpus de traductions de textes de l’oeuvre d’Averroès, Alain de Libera (qu’il n’est plus besoin de présenter) nous offrait il y a quelques années un texte intitulé « Pour Averroès », dans lequel il reprenait les éléments de la pensée du philosophe de Cordoue relatifs à la question de savoir comment lier la Philosophie et la Religion, éléments empruntés exclusivement au Fasl al-maqâl, au Kashf ‘an manâhij al-adilla, et au Tahafût al-tahafût. L’universitaire y décrivait les rouages de la pensée d’Averroès, et la comparait à celle de saint Thomas d’Aquin, sur la même question. Nous voudrions nous aussi, revenir sur ces moments de l’histoire de la pensée religieuse, comparer les réponses apportées par ces deux grands noms de la philosophie médiévale.

Nous venons de tenter de regouper ces éléments de pensée sous une même problématique, vague à souhait, celle de lier philosophie et religion. On pourrait dire de façon plus précise, qu’Averroès et saint Thomas ont un fond commun. L’un comme l’autre croient que Dieu a communiqué avec les hommes, qu’Il leur a enseigné quelque chose, qu’il y a donc un enseignement divin, et comme tel, considéré comme exprimant des vérités. Tous deux sont aussi convaincus de l’unité de la Vérité. A ce niveau là, il faut dire que pour l’un comme pour l’autre, la philosophie et l’enseignement divin ne peuvent s’opposer, vu que la vérité ne saurait s’opposer à la vérité.

Laissons de côté la question de savoir lequel des deux est un fidèle de la vraie religion, et penchons nous sur une autre des divergences entre ces deux auteurs, cette fois-ci, non plus sur le plan de leur foi, mais sur le plan intellectuel même. Faire l’unité de la vérité, concilier les données de l’enseignement divin, et celles de la philosophie a été une problématique dans l’oeuvre d’Averroès, et elle se retrouve aussi dans l’oeuvre de saint Thomas. Mais outre le fait que ces deux hommes sont des fidèles de deux religions différentes, et deux disciples d’Aristote qui ne partagent pas exactement la même philosophie, la solution qu’ils vont donner à ce problème particulier n’est pas la même chez l’un et chez l’autre.

Voyons-en les grands traits ici et là. Chez Averroès, la question est posée dès le titre du Fasl al-maqâl. Il s’agit d’étudier comment la Loi (al-shari’a), et la Philosophie (al-Hikma) sont liées entre elles. La question posée ainsi est typique en climat musulman. En climat chrétien, depuis les apologètes chrétiens jusqu’aux scolastiques médiévaux, en passant par saint Thomas d’Aquin, les termes de la question ne sont pas les mêmes. Il s’agit dans la pensée chrétienne, de lier la Foi et la Raison (Fides et ratio). Chez saint Thomas l’unité de la vérité va se faire dans le cadre de la théologie. C’est que saint Thomas est l’héritier d’une longue tradition de pensée, et sur ce point on pourrait sans peine montrer un lien avec la pensée augustinienne. Ce n’est pas là l’objet de notre propos, mais si la foi et la raison sont deux actes distincts et non opposés (cf: De Utilitate Credendi), il est tout à fait possible de constituer cet intellectum fidei qui est le but de la théologie. La théologie est donc dans cette perspective, le cadre de l’intelligence (du latin inter-ligere) d’un enseignement divin, oeuvre de la raison rendu possible par un acte de foi. La théologie est la science religieuse par excellence, qui prétend tirer ses principes de la Science de Dieu même. Dans la pensée de saint Thomas, la philosophie occupe donc une place seconde parce que la place première est tenue par la théologie. Et ce mot « première » peut ici s’entendre en deux sens. Elle est la première préoccupation, avant la philosophie. Et elle est première en dignité : science divine, qui transcende infiniment le savoir humain dont la philosophie est le sommet. Dans le système thomiste, si l’on peut s’exprimer ainsi, la rencontre de la religion et de la philosophie s’effectue par cet intermédiaire typiquement chrétien qu’est une théologie. Dans le système d’Averroès, c’est la philosophie qui occupe cette place primordiale. Soumise à la Loi révélée, qui en autorise à certains l’étude et à d’autres non (en fonction de leur « nature », qui les prédispose à la science, ou non), la philosophie est dans une posture seconde au moment, d’ailleurs factice, où s’écrit la fatwa qui tranchera de son sort. Une fois (pour ainsi dire) son étude autorisée, la philosophie se retrouve face à face à l’enseignement divin, sans intermédiaire. En Christianisme, c’était la Révélation non pas tellement une Révélation-Loi qu’une Révélation-Enseignement (et enseignement contenant des mystères au sens chrétien du terme) qui appelait un déploiement de la pensée, déploiement de la pensée qui se fait à partir de la foi, et la première conséquence de ce fait a été précisément la formation de la théologie. En Islam, il n’y a pas d’intermédiaire entre la philosophie et le donné révélé. En tant que Loi, cet enseignement divin est premier. Mais c’est la raison qui a la primauté, car c’est elle qui enseigne l’homme. Averroès va faire de la philosophie la science suprême, en cela qu’elle mène à la connaissance des êtres, dont l’Etre. Cette place primordiale de la philosophie passe par une critique tantôt implicite tantôt explicite du ‘ilm al-kalâm, la « théologie de l’Islam », critique qui relègue celui-ci au second rang.

On le voit, la situation est donc fort différente ici et là. Les rapports entre Religion et Philosophie chez Averroès ne peuvent s’établir que selon le mode du rationalisme. C’est la philosophie qui établit la vérité (philosophique), et qui réinterprète le Texte Saint en fonction de ses propres découvertes. Cette interprétation est l’authentique, la vraie, celle qu’il ne faut pas communiquer aux hommes qui n’ont pas la même « nature » rationnelle que les sages. Chez saint Thomas au contraire c’est la Théologie qui prend la première place. C’est la vérité révélée qui s’impose au théologien par sa foi, et qui permet son activité intellectuelle première. La philosophie est un instrument dans les mains du théologien, instrument précieux, mais non nécessaire, qui lui permet de saisir plus profondément cette vérité révélée. Il faudrait, pour prendre en compte l’ampleur des conséquences de  cette divergence, se rappeler qu’il n’y a pas en Islam de magistère orthodoxe comparable à celui de l’Eglise, et que tout l’enseignement divin y est le donné scriptuaire. Cela permet de se rendre compte des caractériques du rationalisme dont on parle ici au sujet d’Averroès. C’est un rationalisme religieux en ce qu’il n’existe que dans et par une Révélation-Loi, mais un rationalisme qui mène loin : c’est tout l’enseignement divin qui est compris et interprété par la philosophie, qui prend même en charge la mission de traduire en mode dialectique le résultats de ces recherches pour les « natures » intellectuelles inférieures (c’est le rôle du Kashf). En revanche, chez saint Thomas, c’est le fidéisme (ne pas entendre ce terme dans un sens négatif, excluant la raison) qui l’emporte, l’adhésion à la Parole Divine, et la raison est d’emblée limitée par cette adhésion même. La foi qui fait adhérer à la Parole Divine, dévoile des vérités, dont la compréhension est l’objet de la théologie. La raison joue un rôle second dans ce cadre théologique. Elle si joue un rôle premier en philosophie évidemment, la philosophie est guidée par la théologie. On ne saurait être plus loin du système d’Averroès.

Mais voilà que nous venons de décrire la situation et ses caractères généraux en traitant surtout de l’axe religieux de la question. Concentrons-nous à présent sur son axe philosophique. Dans le système d’Averroès, nous l’avons dit, elle tire tout à elle. C’est elle qui fait la pluie et le beau temps en religion, dès lors que la Loi en autorise l’exercice. La problématique de « La Loi et la Philosophie » se mue alors en celle des lois de la philosophie. Mais de quelle philosophie parle t’on ? On voudrait croire qu’il s’agit là de la philosophie en soi. Mais cette philosophie qui prouve l’enseignement obvie du Texte Saint, et qui l’interprète pour l’accorder à ses enseignements propres est toujours une philosophie particulière, la philosophie d’un philosophe particulier. Dans le système averroïste, la philosophie dont il est question est aristotélicienne, selon l’interprétation qu’en donne Averroès (et qui ceci dit en passant, s’écarte de l’aristotélisme d’Aristote lui-même). Loin de nous de déconsidérer l’oeuvre d’Aristote, ou l’oeuvre du Commentateur. Mais force est de constater que le système exige plus qu’un acte de foi en la philosophie en soi, un acte de foi en une philosophie particulière, dont on ne voit pas comment le justifier sans être soi-même un pur péripatéticien à la façon d’Averroès et selon le détail de ses accents. Or cela est problématique dans la mesure où cette philosophie revendique la vérité totale : religieuse et philosophique à la fois. Les déclarations admiratives d’Averroès à l’adresse d’Aristote, celui par qui « la vérité a été parfaite », prennent ici un sens tragique. C’est la pensée religieuse qui se trouve de facto sclérosée, obligée qu’elle est de s’en tenir à la lettre d’Aristote comprise par Averroès. Et c’est aussi la philosophie elle-même qui s’enferme dans une position « figeante » : la voilà qui s’affirme haut et fort, si haut et si fort, et qui en même temps, se coupe de toute stimulation religieuse, et de toute stimulation alter-philosophique, quasiment condamnée à étudier Aristote. Si c’est là le prix à payer pour ce rationalisme, il est peut être préférable, pour la pensée religieuse évidemment, mais pour la pensée philosophique aussi, de ne pas s’y aventurer, voyant que la voie dans laquelle on nous propose de nous engager n’est vraisemblablement qu’une impasse épistémologique. Et nous écrivons cela avec un pincement au coeur, ayant en mémoire ces accusations si souvent portées contre la scolastique médiévale, de s’être condamnée à un aristotélisme scolaire, qu’elle aurait répété inlassablement, sans pouvoir faire oeuvre créatrice, engoncée qu’elle était dans « la pensée théologique »… Qu’en est-il vraiment ? Nous ne parlerons pas ici de la scolastique en général, dans toute sa diversité d’expression, mais simplement de l’oeuvre de saint Thomas d’Aquin. Or il est clair que la philosophie y a une place seconde. Elle est ancilla theologiae, une servante pour la théologie (le théologien l’utilise c’est à dire, a sa propre philosophie, et utilise celle des autres – Non pas exclusivement tel ou tel philosophie particulière). Elle participe donc de cette façon au déploiement de la pensée proprement religieuse. En tant que subordonnée à une science qui lui est supérieure, elle est guidée par la foi, réglée par la dogmatique. On peut voir dans cette situation, un danger pour la philosophie, à condition de ne pas croire comme saint Thomas que la religion chrétienne est vraie. Mais puisqu’il s’agit là d’une opinion, soit supra-philosophique (dans le cas de saint Thomas, de la foi chrétienne), soit a-philosophique (dans le cas d’un préjugé rationaliste), mieux vaut ne pas s’inquiéter en philosophie des questions auxquelles en philosophe on ne peut répondre, et se borner à constater que dans un tel système, la philosophie est placée dans une dynamique à la fois théologique, et philosophique même, puisque les apports de la théologie se font sentir sur cette philosophie qui existe dans son cadre. Il n’y pas de raison, hormis par une raison théologique, de penser que la philosophie progresse forcément dans un système comme celui de saint Thomas d’Aquin. Mais il n’y a pas plus de raison de penser, hormis par une pure opinion négative à l’encontre de la doctrine chrétienne que nulle philosophie ne saurait justifier, que la philosophie ne puisse progresser dans ce cas. Car quoi que l’on pense du Christianisme et de la Théologie Chrétienne, il faut bien reconnaître que le système la place dans une position et une structure qui peut la faire progresser, dans une dynamique particulière. Au moins la philosophie chrétienne existe t’elle, et ses positions ne sont pas celles de la philosophie grecque son aînée. On peut ensuite se demander laquelle est la plus proche de la vérité, et ce serait là une question tout à fait légitime en philosophie, mais distincte du point que nous voulions ici mettre en lumière.

Averroès n’est pas un père de la modernité. Sa philosophie aura son heure de gloire dans l’Europe latine, mais la forma mentis d’Averroès et celle des théologiens chrétiens n’est pas la même, compte tenu des différences profondes entre le climat musulman et le climat chrétien. Le sujet des rapports entre religion et philosophie en est un exemple caractéristique. Or ce sont les problématiques chrétiennes qui ont permis le développement de la pensée chrétienne de la façon dont elle s’est déployée, et ce sont ces mêmes problématiques qui ont permis des distinctions qui avec le temps, devaient permettre l’émergence de la pensée moderne y compris sous la forme exclusivement philosophique. Si cette pensée moderne, après la pensée théologique du Moyen-Age Chrétien, -mettons pour faire vite de Descartes à Hegel- renoue avec un rationalisme qui ne se distingue de celui d’Averroès que considérant leurs origines respectives, et partant, par leur façon d’aborder le champ de la raison philosophique lui-même ; et si en revanche, elle se rapproche de lui sur le plan épistémologique, ce n’est pas qu’Averroès est un père de la modernité, c’est que l’esprit de la modernité rejoint quelque peu celui d’Averroès. Il n’y a pas lieu de s’en réjouir, car la philosophie n’a rien à gagner du rationalisme, et beaucoup à y perdre. Mais d’autre part, si abandonnant tout préjugé rationaliste, nous daignions nous pencher en philosophe sur la philosophie médiévale, peut-être pourrions-nous saisir à nouveau sa valeur, et la grandeur du Christianisme qui l’a engendrée. Il nous faut pour cela aimer la Sagesse.

C’est là le chemin vers la vérité, que tout philosophe devrait préférer à Averroès.

Et c’est le même chemin qui, avec la grâce de Dieu, mène au Christ, Lui qui est la Voie, la Vérité, la Vie.

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Valeur de la critique

28-04 at 5:36 (Encyclopédie, Heurs et malheurs, Lectures, Philosophie, Théologie) (, , , , , , , )

2- Dans Quadragesimo Anno, le pape Pie XI expliquait pourquoi l’Eglise a « le droit et le devoir de se prononcer avec une souveraine autorité sur les problèmes sociaux et économiques ».

« Sans doute, c’est à l’éternelle félicité et non pas à une prospérité passagère seulement, que l’Eglise a reçu la mission de conduire l’humanité ; et même, « elle ne se reconnaît point le droit de s’immiscer sans raison dans la conduite des affaires temporelles ». A aucun prix toutefois elle ne peut abdiquer la charge que Dieu lui a confiée et qui lui fait une loi d’intervenir, non certes, dans le domaine technique, à l’égard duquel elle est dépourvue de moyens appropriés et de compétence, mais en tout ce qui touche à la loi morale. […] Car, s’il est vrai que la science économique et la discipline des moeurs relèvent, chacune dans sa sphère de principes propres, il y aurait néanmoins erreur à affirmer que l’ordre économique et l’ordre moral sont si éloignés l’un de l’autre, si étrangers l’un à l’autre, que le premier ne dépend en aucune manière du second. Sans doute, les lois économiques, fondées sur la nature des choses et les aptitudes de l’âme et du corps humain, nous font connaître quelles fins, dans cet ordre, restent hors de la portée de l’activité humaine, quelle fin au contraire, elle peut se proposer, ainsi que les moyens qui lui permettont de les réaliser ; de son côté, la raison déduit clairement de la nature des choses, et de la nature  individuelle et sociale de l’homme la fin suprême.

Mais seule la loi morale Nous demande de poursuivre dans les différents domaines entre lesquels se partage Notre activité, les fins particulières que Nous leur voyons imposé par la nature ou plutôt par Dieu, l’auteur même de la nature, et de les subordonner toutes, harmonieusement combinées, à la fin suprême qu’elle assigne à tous Nos efforts. Du fidèle accomplissement de cette loi, il résultera que tous les buts particuliers poursuivis dans le domaine économique, soit par les individus, soit par la société, s’harmoniseront parfaitement dans l’ordre universel des fins et Nous aideront efficacement à arriver, comme par degrés au terme suprême de toutes choses, Dieu, qui est pour lui-même et pour nous le souverain et l’inépuisable Bien. »

On voit par ces paragraphes combien il est aisé de répondre aux chrétiens qui pensent que la Doctrine Sociale de l’Eglise est dépassée. Si la doctrine sociale de l’Eglise était un recueil de traités d’économie, on pourrait juger ceux-ci réfutables et même réfutés. Mais il s’agit d’une branche de la théologie morale, qui comme telle est fondée sur l’enseignement du Christ, dont tout chrétien qui se respecte sait que les paroles ne passeront point. Dans l’ordre théorique aucune des vérités révélées ne sera jamais avérée fausse. De même, dans l’ordre pratique, il sera toujours possible de pratiquer les vertus que le Christ nous a ordonné de pratiquer. Il se peut qu’il soit devenu très dur de les pratiquer, peut-être plus dur que jamais, mais ce ne peut être une bonne raison de déclarer les vertus chrétiennes impropres à notre époque. Ce point semble tellement évident qu’on a peine à en croire nos yeux lorsqu’on lit avec quelle désinvolture certains chrétiens passent outre les enseignements pontificaux.

Cet avis, que la doctrine de l’Eglise puisse être dépassée, nous semble provenir chez certains de ceux qui la professent, d’une erreur sur le contenu même de la doctrine qu’ils jugent. Il devrait suffir donc de rappeler la nature théologique des encycliques papales, pour réduire à néant les équivoques à l’origine de ces jugements malheureux. Peut-être s’imaginent-ils que les papes ont proposé que l’on mette en oeuvre des recettes économiques qu’un économiste averti ne peut que juger inadaptées, peut être croient-ils que l’Eglise propose un programme politique révolutionnaire, à la façon des utopies socialistes, mais il n’en est rien. L’Eglise ne fait que développer la morale évangélique dans ses applications sociales et économiques. L’Eglise par exemple, ne rejette  pas le régime capitaliste. On lit, toujours dans Quadragesimo Anno, que le capitalisme « n’est pas à condamner en lui-même ; ce n’est pas sa constitution qui est mauvaise ». En revanche, elle condamne sans appel, au nom de l’enseignement du Christ, le libéralisme, l’esprit -pour ainsi dire- qui régit l’activité économique de la plupart des pays aujourd’hui.

Puisqu’elle se fonde sur la Révélation, la valeur de la théologie morale est absolue. Mais cette valeur ne peut elle être perçu que par les fidèles ? Dans sa totalité, oui, mais parce que toute théologie est aussi philosophie, chacun, de par sa qualité d’animal raisonnable, sera capable de reconnaître la pertinence des vérités naturelles qu’elle expose en même temps que les vérités surnaturelles. Ainsi, si ceux qui ignorent que le Christ est mort pour nous et qu’il est ressuscité ne percevront pas le sens profond des sentences papales,  il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour être philosophe, et il suffit d’être philosophe pour résoudre certaines questions théoriques et pratiques, qui composent une partie de notre sujet.

Peut-être conviendrait-il donc dans un premier temps, de discuter les opinions des Anciens pour y voir plus clair.

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10-02 at 8:43 (Crise de l'Eglise, Heurs et malheurs, Lectures, Philosophie, Théologie) (, , , , , , , )

L’insensé a dit dans son coeur : il n’y a pas de Dieu.

Psaumes XXIII, 1.

Dans son Introduction à la philosophie, le professeur Jaspers répète à l’envie que les preuves de l’existence de Dieu n’ont aucune valeur apodictique. On ne demande pas mieux que d’être convaincu, mais en fait, on reste plutôt songeur devant de telles démonstrations :

« La preuve la plus ancienne est celle qu’on appelle cosmologique. On infère du cosmos (c’est à dire du monde, en grec) l’existence de Dieu. Tout ayant une cause dans le devenir universel, on en tire l’existence d’une cause première ; du mouvement on induit l’existence de sa source, le premier moteur; de la contingence des êtres individuels, on conclut à la necessité du tout. »

On ne saurait en vouloir à Jaspers de simplifier à outrance la thèse qui combat. La réfutation est chose bien plus aisée ce faisant. Impossible donc, selon Jaspers, de déduire du cosmos l’existence de Dieu. Impossible surtout de savoir qui a pu défendre telle quelle cette preuve cosmologique ! Les cinq preuves de saint Thomas d’Aquin, dans les deux Sommes et le Compendium, ne portent pas de nom, et sont irréductibles à cette simplification outrancière… Notons que Jaspers nous parle de preuve cosmologique, puis il évoque la preuve par le mouvement, d’Aristote, assimilant l’une à l’autre.

Le professeur continue : « Si l’on conçoit ces conclusions sur le modèle d’une chose réelle permettant d’affirmer l’existence d’une autre chose réelle -comme lorsque, voyant la face que la lune tourne vers nous, nous en induisons l’existence d’une autre que nous ne voyons pas- alors elles ne sont pas valables. Des conclusions de ce genre ne sont pour nous légitimes que s’il s’agit d’inférer de certains phénomènes l’existence d’autres phénomènes. Or le monde en tant que totalité n’est pas un phénomène, parce que nous sommes toujours à l’intérieur de lui, et que nous ne l’avons jamais dans sa totalité face à nous. Aussi le monde dans sa totalité ne nous permet-il de tirer aucune conclusion concernant autre chose que lui. »

Bref, il est impossible de tirer du cosmos un argument pertinent de l’existence de Dieu. C’est sans doute vrai, mais il ne faudrait pas s’imaginer que cela soit une réfutation en règle du raisonnement aristotélicien, la première voie de saint Thomas. Si la preuve qu’Aristote développe dans sa Physique se base bien sur le mouvement et non sur le cosmos, si le mouvement est bien un phénomène (même au sens kantien du terme), on peut dire que Jaspers n’a pas répondu à Aristote.

Au reste, si Jaspers prétendait s’attaquer à tel ou tel philosophe, cela ne me dérangerait pas le moins du monde. Chacun sait combien la controverse est bénéfique de temps à autre. Mais Jaspers ne se contente pas de critiquer une preuve de l’existence de Dieu, il affirme qu’on ne peut pas prouver l’existence de Dieu. « Si l’on conçoit les preuves de l’existence de Dieu comme ayant l’évidence scientifique des démonstrations mathématiques ou des vérifications expérimentales, on les rend fausses. Kant a réfuté de façon radicale leur prétention à l’apodicticité. » Voici donc, outre la réduction à la réfutation de la preuve cosmologique, l’argument de Jaspers : Kant. Or je vois bien ce qui permet à un kantien d’affirmer que l’existence de Dieu est indémontrable, mais je ne vois pas ce qui permet de penser que cette conclusion kantienne soit la vérité que tous les philosophes doivent tenir pour telle. Nullement paradoxales (car l’effet du trop connu arbitraire philosophique), les prétentions de cet agnosticisme à faire tenir pour la vérité, n’en sont pas moins désolantes.

Evidemment, on pourra toujours décharger notre auteur de ses propos, en arguant que le livre en question n’est qu’une introduction, et que ce cadre imposé ne permet pas de développer des arguments complexes. A vrai dire, je ne vois pas d’autres arguments que celui-ci pour atténuer mon reproche d’insuffisance. Réfuter un raisonnement n’est que peu de choses. Au contraire réfuter les principes sur lesquels se fonde ce raisonnement, c’est là faire oeuvre de philosophe. La preuve d’Aristote, pour ne citer qu’elle, se fonde sur les principes du réalisme, ce sont donc ceux là qu’il faut discuter. La réfutation kantienne se fonde sur les solutions que Kant donne au problème de l’origine des connaissances, c’est là ce dont il importe d’établir la légitimité. En l’absence d’une démonstration en règle, expliquant que le réalisme aristotélicien est une doctrine fausse, et que seul l’idéalisme kantien est vrai, imposer à ses lecteurs de croire qu’il n’y a pas de démonstration de l’existence de Dieu possible est purement arbitraire.

Il ne suffit pas à Jaspers d’affirmer l’incapacité de la raison humaine à connaître l’existence de son Créateur. Il lui dénie également la capacité à le connaître dans ses attributs. Il n’est pas certain qu’il en est lui-même conscience. Il semble bien au contraire que « connaître Dieu » ne réfère chez lui qu’au fait de savoir qu’Il existe, mais il est clair que des phrases comme celle-ci : « Dieu est, pour moi, dans la mesure où je deviens vraimet moi-même dans la liberté. Il n’est pas en tant qu’objet d’étude et de savoir, il ne se manifeste qu’à l’existence », ne laissent place à aucune connaissance de la nature divine et de ses attributs.

***

Une divergence comme celle qui oppose un saint Thomas d’Aquin, présentant cinq preuves de l’existence de Dieu comme ayant une valeur démonstrative, à un Kant, qui nie qu’il soit possible de prouver l’existence de Dieu n’est qu’un effet d’une divergence plus fondamentale sur la question de l’origine des connaissances. Le véritable point de divergence est celui qui oppose idéalistes et réalistes depuis des siècles. Seul la solution réaliste à l’origine des connaissances permet d’affirmer qu’il y a une preuve possible de l’existence de Dieu à partir des choses crées. C’est parce que saint Thomas était un réaliste, à la suite d’Aristote qu’il en a exposé cinq, et il faut être réaliste pour les penser bien fondées. (Encore faut-il préciser que notre certitude de cette possibilité ne repose pas tant sur la philosophie, mais bien plutôt sur le magistère de l’Eglise, qui a tranché la question depuis Vatican I : « Si quelqu’un dit que la lumière naturelle de l’humaine raison est incapable de faire connaître avec certitude, par le moyen des choses créées, le seul vrai Dieu,notre Créateur et Maître, qu’il soit anathème. » (Vatican I, De Revelatione, cap 1.) Pour le catholique, la cause est donc entendue.)

La difficulté à se faire entendre sur ce sujet tient à ce que le bien fondé du réalisme par rapport à l’idéalisme ne se démontre pas. On ne peut que faire comprendre ce qui est induit. « Pour le réaliste, écrit Gilson, penser, c’est seulement ordonner des connaissances ou réfléchir sur leur contenu; jamais il n’aurait l’idée de faire de la pensée le point de départ de sa réflexion, parce qu’une pensée n’est possible pour lui que là où il y a des connaissances. Or l’idéaliste, du fait qu’il va de la pensée aux choses, ne peut savoir si ce dont il part correspond ou non à un objet; lorsqu’il demande au réaliste comment rejoindre l’objet en partant de la pensée, ce dernier doit donc s’empresser de répondre qu’on ne le peut pas, et que c’est même la raison principale pour ne pas être idéaliste, car le réalisme part de la connaissance, c’est à dire un acte de l’intellect qui consiste à saisir un objet. »

S’il est vrai que l’on peut abstraire l’intelligible du sensible, il devient possible de raisonner sur le mouvement, que nous constatons. C’est là le fondement de la démonstration qu’Aristote exécute dans sa Physique, qui explique l’origine du mouvement par le Premier Moteur Immobile. Aristote n’était pas un chrétien, et il n’a pas démontré l’existence du Dieu des chrétiens. Il a démontré que le mouvement devait son être à un principe immobile, et rien de plus. On ne peut pas croire et savoir une chose à la fois et sous le même rapport, c’est pourquoi le chrétien qui sait avec Aristote qu’il y a un premier moteur immobile n’est pas dispensé de croire en l’existence de Dieu, tel que la Révélation nous Le fait connaître. Parce que les champs de vision de la raison naturelle et de la raison éclairée par la foi ne sont pas confondus (c’est la fameuse distinction thomiste entre le révélé et le révélable), on ne peut pas connaître sous le même rapport, en usant de l’un ou de l’autre éclairage.

Saint Thomas affirme par ailleurs que l’on peut connaître la nature de Dieu de deux façons. Premièrement, par voie de négation. C’est ce qui permet de dire que Dieu ne peut pas être composé de matière, puis qu’il ne peut pas être un composé, etc… Deuxièmement, on peut connaître Dieu en usant de la notion d’analogie. Ainsi nous disons que Dieu est bon, qu’il est juste, qu’il est miséricordieux, etc. Ce sont là deux voies qui permettent d’énoncer des vérités à l’échelle humaine, mais qui ne suppriment pas le mystère. L’essence de Dieu nous reste toujours inconnue en ce bas monde, et le plus profond des philosophes, s’il pourra énoncer plus de vérités au sujet de Dieu que le commun, restera cependant dans cette même ignorance fondamentale.

Ainsi, on est surpris de lire ces lignes de la main d’un chrétien : « Le Dieu de la foi est le Dieu lointain, le Dieu caché, le Dieu indémontrable. C’est pourquoi, il me faut penser non seulement que je ne connais pas Dieu, mais même que je ne sais pas si je crois. La foi n’est pas une propriété. Elle n’implique aucun savoir assuré, mais seulement une certitude efficace dans la conduite pratique de la vie ». Un enfant connaissant son catéchisme en sait plus que le professeur Karl Jaspers. Il croit en la Parole de Dieu. Et parce qu’il sait « qu’Il ne peut ni Se tromper, ni nous tromper », il sait que tout ce qu’il tient par la foi est vrai. Lorsque le chrétien dit que Dieu est trine, il dit une vérité. Il n’en comprend pas la profondeur, ni l’exacte portée, mais ce qu’il peut dire de Dieu parce que Dieu le lui a révélé, n’en reste pas moins vrai.

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Contra averroïstas

3-01 at 8:47 (Crise de l'Eglise, Heurs et malheurs, Philosophie, Théologie) (, , , , , , , )

Traditio auctrix, consuedo confirmatur, fides observatrix.

Tertullien.

Saint Thomas dit que la Révélation était nécessaire à cause de la faiblesse de la raison humaine, faiblesse particulièrement remarquable en ce qui concerne les choses de Dieu. Cet argument est théologique puisqu’il peut s’appuyer sur la doctrine du péché originel que chaque catholique tient par la foi. Mais il est aussi philosophique, puisque comme dit Aubry : « tout nous crie, et la raison plus fort que tout le reste, que la raison ne suffit pas ».

L’argument se décline comme il suit : On peut dire que la raison est faible en parlant d’un cas particulier, de cet homme dont la raison est faible. On peut dire que la raison est faible en ce sens qu’elle n’échappe pas à l’erreur. Dans ce dernier cas, la faiblesse dont il est question implique qu’elle ne soit pas capable de se corriger elle-même. La faiblesse de la raison est cause de l’impuissance relative de la philosophie. Un impie doit reconnaître ce point, en revanche, il n’acceptera pas cette corollaire scolastique: que la Révélation est vraie. Il faut la foi, pour accorder cette dernière assertion. Mais au moins, notre impie pourrait-il nous accorder que la véracité de la Révélation est une thèse possible du point de vue de la philosophie.

Or, si un scolastique s’appuie sur la théologie pour affirmer que la science de Dieu contient et sauve la philosophie, un impie lui, ne s’appuie sur sa seule raison pour nier cette assertion, alors même qu’il peut lui-même reconnaître par ailleurs l’impuissance de la philosophie. C’est-à-dire que ce dernier est prêt à reconnaître que le sable sur lequel il bâti sa maison ne présente pas les qualités requises, et moins de qualités que la pierre sur laquelle bâti un scolastique, à condition que la pierre existe.

On entrevoit facilement dans quelle contradiction se place le catholique qui refuse de concevoir que la philosophie doive prendre son point de départ dans la théologie. Dans le raisonnement ci-dessus, il ne peut pas user de cette condition. Pour lui, la Révélation a eu lieu, et le dépôt de la foi est bien conservé dans l’Eglise fondée sur Pierre. A moins de nier un des termes de cette dernière phrase, contre sa foi, il ne peut qu’affirmer que la théologie sauve la philosophie.

Comme la vérité est une, la philosophie ne saurait contredire la théologie. Un chrétien ne peut que se rendre à cette raison. La vérité est une : ce premier point est philosophique et par conséquent, peut être reconnu par tous, donc un impie concèdera que la philosophie ne peut contredire la théologie si il est vrai qu’elle est la science de Dieu.

Ce qu’il ressort de ces deux points, l’impuissance de la raison et l’unicité de la vérité c’est que le système scolastique ne présente pas de faille logique. Quel système trouvez vous le plus rationnel de ces deux là ? Le premier peut affirmer l’impuissance de la raison, et pourtant tirer d’elle que rien ne la dépasse et ne la sauve. Le second propose au nom d’un principe supérieur à la raison, de remédier à la faiblesse de la raison que chaque philosophie peut par ailleurs constater. Jugez vous-même.

***

S’il en est parmi ceux qui me lisent que le monde moderne n’a pas rendu insensible à la voix de l’Eglise, je me permets de citer le Syllabus de Pie IX, qui lève le doute quant à ce que pense l’Eglise du rationalisme. Les propositions suivantes comprises dans la section intitulée rationalisme modéré, y sont condamnées :

IX- Tous les dogmes de la religion chrétienne sans distinction sont l’objet de la science naturelle ou philosophie ; et la raison humaine n’ayant qu’une culture historique, peut, d’après ses principes et ses forces naturelles, parvenir à une vraie connaissance de tous les dogmes, même les plus cachés, pourvu que ces dogmes aient été proposés à la raison comme objet.

Voici rappelées les insuffisances naturelles de la raison. Quelque soit la capacité particulière de l’individu, il ne pourra jamais parvenir a une intelligence parfaite du dogme. La raison humaine est moins parfaite que celle des anges, qui est moins parfaite que celle de Dieu qui est seule parfaite. C’est pourquoi la somme de vérités théologiques, c’est à dire qui relèvent de la science de Dieu, reste à jamais parfaitement accessibles à l’intelligence humaine.

X- Comme autre chose est le philosophe et autre chose la philosophie, celui-là a le droit et le devoir de se soumettre à une autorité dont il s’est démontré à lui même la réalité ; mais la philosophie ne peut ni ne doit se soumettre à aucune autorité.

Par la condamnation de cette phrase, on voit que la position d’un Boèce de Dacie, qui estime que le philosophe chrétien, de par sa foi doit se soumettre à l’autorité de l’Eglise et aux conclusions de la théologie, mais qui enseignait que chaque science devait progresser en statut autonome est rejetée par l’Eglise qui ce faisant, définit la philosophie chrétienne quelques années avant Aeterni Patris.

XI- L’Eglise, non seulement ne doit, en aucun cas, sévir contre la philosophie, mais elle doit tolérer ses erreurs et lui laisser le soin de se corriger elle-même.

Conséquence du principe ci-dessus : l’Eglise est cette autorité supérieure à la raison humaine. L’autorité de l’Eglise est seule légitime pour trancher les questions doctrinales parce qu’elle est l’Eglise du Christ, qui garde le dépôt de la foi, la Parole de Dieu révélant.

Par ailleurs les erreurs philosophiques, et plus particulièrement les erreurs métaphysiques mènent à des erreurs théologiques.

XII- Les décrets du Siège Apostolique et des Congrégations Romaines empêchent le libre progrès de la science.

Notez la présence admirable de précision du mot libre. Le pape signifie par là que non seulement l’Eglise n’empêche pas par ses jugements le progrès de la science, mais en plus l’expression de son autorité ne retire rien à la liberté de la science, en ce sens qu’elle suppose et maintient la distinction entre les concepts de science et d’acte théologique du magistère. Et la science progresse dans la mesure où elle évite l’erreur, ce que permettent les décrets du Saint Siège.

(Ce sont les différents concepts de théologie, de philosophie et de science dans le système scolastique qu’il faudrait discuter ici, mais ce serait trop long, et l’on se tiendrait hors du cadre de ces simples commentaires. Disons simplement, à titre de réponse sommaire à l’adresse de ceux qui disent que le système scolastique étouffe la philosophie, que la philosophie y est bien une science distincte des autres sciences, qui ne doit ses principes qu’à elle-même, et qui dirige les autres sciences humaines. Le contrôle qu’exerce la théologie sur ses conclusions, ce qu’on appelle la régulation négative ne la fait pas disparaître en tant que science distincte des autres.)

XIII- La méthode et les principes d’après lesquels les anciens docteurs scolastiques ont cultivé la théologie ne sont plus en rapport avec les nécessités de notre temps et les progrès des sciences.

Il faut distinguer entre les principes et les conclusions des sciences. Les conclusions de la science ne sont pas immuables, mais les principes philosophiques sur lesquels elles reposent, si. En conséquence, on ne saurait se priver de l’enseignement philosophique des docteurs scolastiques sans témérité. Quant à la théologie, et la façon dont elle était traitée au Moyen Age, son nature même exige qu’elle ait le statut aujourd’hui dans la pensée chrétienne que celui qu’elle tenait chez les différents maîtres scolastiques.

XIV- On doit s’occuper de tenir compte de philosophie sans tenir aucun compte de la Révélation surnaturelle.
 
Ce qui implique que le philosophe chrétien prenne en compte l’enseignement de l’Eglise proprement dit, et la théologie en tant que science.

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22-11 at 7:03 (Lectures, Philosophie, Théologie) (, , , , , , , , , , , , )

Non est sapientia, non est prudentia, non est consilium contra Dominum. 

(Pv XXI, 30)

*** 

Qu’il me soit permis de partager avec vous ces quelques réflexions à propos d’extraits choisi d’une lettre de Simone Weil (elle-même extraite du recueil de Pensées sans ordre concernant l’amour de Dieu.) En italique, c’est elle qui parle :

Tout ce qui dans le christianisme est inspiré de l’ancien testament, est mauvais, et d’abord la conception de la sainteté de l’Eglise, modelée sur celle de la sainteté d’Israël.

Premièrement, il est faux de dire que l’Eglise se considère comme une sainte, comme Israël était un peuple saint (si tant est d’aileurs que l’Ecriture laisse penser un seul instant que le peuple d’Israël était saint). Dans le vocabulaire thomiste, on appellerait ce rapport entre la sainteté d’Israël et la sainteté de l’Eglise, une analogie, c’est à dire que ce terme saint ne signifie pas la même chose dans les deux être comparés. Deuxième point : il est faux de dire que c’est l’idée de la sainteté d’Israël qui a donné en substance le dogme de la sainteté de l’Eglise. L’Eglise est sainte et se dit sainte parce qu’elle est le corps mystique du Christ, et que le Christ est saint. Encore faut-il bien préciser que cette sainteté concerne l’Eglise en tant qu’institution divine, et ne signifie pas que tous ses membres soient saints, même si cela semble évident.

Après les premiers siècles, dont on ne sait presque rien, la chrétienté -tout au moins en Occident- a abandonné l’enseignement du Christ, pour revenir à l’erreur d’Israël sur un point jugé par le Christ comme le plus important de tous.

Saint Augustin dit que si un infidèle habille ceux qui sont nus, refuse de porter un faux témoignage même sous la torture, etc. il n’agit pas bien, quoique Dieu à travers lui, opère de bonnes oeuvres. Il dit aussi que celui qui est hors de l’Eglise, infidèle ou hérétique, et qui vit bien, et comme un bon coureur sur une mauvaise route, plus il court bien, plus il s’éloigne de la bonne route.

C’est là l’idolâtrie sociale ayant pour objet l’Eglise. (Si j’avais le choix entre être saint Augustin ou un « idolâtre » qui habille ceux qui sont nus, etc. et admire quiconque en fait autant, je n’hésiterais pas à choisir la seconde destinée).

Le Christ a enseigné exactement le contraire de saint Augustin. Il a dit qu’au dernier jour, Il diviserait les hommes en bénis et réprouvés, selon qu’ils ont ou non habillé ceux qui sont nus, etc. ; et les justes à qui il dit : »J’étais nu et vous m’avez habillé », répondent : « quand donc, Seigneur ? » Ils ne le savaient pas. D’autre part, les Samaritains étaient par rapport à Israël l’exact équivalent des hérétiques par rapport à l’Eglise, et le prochain du malheureux évanoui dans le fossé, ce n’est pas le prêtre ou le lévite, c’est le samaritain. Enfin et surtout, le Christ n’a pas dit qu’on reconnaît le fruit à l’arbre (saint Augustin raisonne comme s’il l’avait dit), mais qu’on reconnaît l’arbre à ses fruits.

Il faut noter en premier lieu, l’erreur classique qui consiste à affirmer que les dogmes de l’Eglise primitives ne sont pas les mêmes que ceux de l’Eglise actuelle. Comme si la Tradition Apostolique était un vain mot. Dans le cas particulier qu’expose Simone Weil, on pourrait lui objecter saint Paul pour cette phrase : le juste vit de la foi, ou encore celle-ci: tout ce qui ne vient pas de la foi est péché (Rom, XIV, 23). Impossible donc, d’être sauvé si l’on a pas la foi dans la doctrine de l’Eglise.

Passons sur les exégèses douteuses de Simone Weil, passons sur le fait qu’elle rejette dans ce texte, de façon implicite, la valeur de l’enseignement de l’Eglise, et concluons : il est regrettable que Simone Weil n’ait jamais étudié plus en profondeur la doctrine catholique, car elle aurait trouvé sans peine la réponse à ses questions.

***

La controverse janséniste a été l’occasion pour l’Eglise de préciser en détail sa doctrine sur la nature et la grâce. Ainsi il n’est plus possible désormais d’affirmer que la nature humaine déchue par le péché originel n’a plus la possibilité théorique de faire le bien. Ceci dit, saint Augustin n’a pas tort de signaler que c’est Dieu qui agit en bien par la personne des infidèles, car il n’est pas sûr que les infidèles agissent bien en fait par leur nature seule, sans l’aide de la grâce. S’appuyant sur saint Augustin précisément, on pourrait conclure que la nature a gardé après le péché originel la capacité de faire des actes naturellement bons, mais qu’en pratique, la grâce agissante fait de ces actes naturels des actes surnaturellement bons, et qu’il n’y a en fait pas beaucoup d’actes purement naturels chez les infidèles. De plus, parce que comme le définit Clément XI, la foi n’est pas la grâce première, il  y a donc du surnaturel avant la foi.

Quant à savoir si ces actes surnaturels que font les infidèles sont méritoires, s’ils permettent de gagner le Ciel, c’est une autre question. Ici, ce n’est plus l’Eglise qui parle, ce sont les différents théologiens, dont la parole n’est pas confirmée du sceau d’un acte du magistère. Il faut pour être sauvé, la foi et les oeuvres. Saint Thomas d’Aquin dans sa Somme Théologique développe une série de réponses sur l’infidélité qui ne contredisent en rien les précisions dogmatiques qui suivirent la lutte contre le jansénisme. Il distingue donc la foi explicite, celle des fidèles, de la foi implicite, celle de certains infidèles, qui usant de leur raison naturelle aidée de la grâce connaissent Dieu imparfaitement. Ceux-là sont appelés infidèles négatifs, en opposition aux infidèles positifs, qui eux refusent la foi en la connaissant, ou qui refusent de suivre les inspirations de la raison et de la grâce. La question est de savoir si les actes surnaturels des infidèles négatifs -car en cet état seul, les infidèles peuvent être sauvés- sont méritoires. Pour Suarez, un acte surnaturel n’est méritoire qu’à condition qu’il l’intention qui l’a commandé soit elle aussi surnaturelle. Jéronimo de Ripalda, un jésuite espagnol, pense le contraire. La doctrine de Suarez est opposé à celle de saint Thomas d’Aquin, parce qu’elle suppose qu’une multitude d’êtres humains privés de la possibilité de se sauver, alors que saint Thomas s’exprime en sens contraire, voyant dans tous les cas une possibilité de salut pour chacune des créatures. Pour saint Thomas, Dieu accorde sa grâce y compris aux infidèles, car sa volonté salvifique est universelle, et il est évident que ces grâces peuvent servir au salut, car les dons de Dieu sont pour notre bien, et non pas une seule action formaliste.

Ainsi, le dogme de la sainteté de l’Eglise n’empêche en aucun cas que le salut soit accordé par Dieu en dehors de l’Eglise. L’Eglise en tant qu’institution divine, est le principal vecteur de la grâce divine, par les sacrements notamment, mais la grâce peut aussi descendre sur l’homme sans l’intermédiaire des institutions de l’Eglise. Comprenons nous bien. Il ne s’agit pas de d’ôter à l’Eglise son prestige en déniant à l’Eglise son rôle. Mais l’Eglise n’est pas seulement une institution soumise au temps, elle est plus. Je cite le cardinal Journet : « Il n’est pas difficile de répondre à l’objection de Rousseau dans La profession de foi du vicaire savoyard. Il la croyait sans doute insoluble : ou bien le christianisme est nécessaire pour le salut, et vous êtes obligé de damner tous les millions d’hommes qui sont venus au monde avant le Christ ; ou bien vous direz qu’ils pouvaient être sauvés, mais alors le christianisme n’est pas nécessaire au salut, et les religions païennes  valaient autant ! La réplique est toute simple : le christianisme est nécessaire au salut ; ceux qui ont été sauvés avant le Christ l’ont été par lui ; ils constituaient par anticipation son corps mystique, son Eglise. Car déjà la grâce était christique. » Le cardinal continue son exposé, distinguant entre la grâce par anticipation, celle qui toucha les hommes avant la mort du Christ et la fondation de l’Eglise, et la grâce par dérivation, celle qui touche les hommes principalement par les institutions de l’Eglise depuis sa fondation.

L’Eglise est le corps mystique du Christ. Et de même que le Christ prééxistait à son Incarnation, l’Eglise d’une certaine manière préexistait à sa fondation par Notre Seigneur. En effet, il n’y a jamais eu qu’une seule religion véritable, celle révélée par Dieu, d’Abraham à nos jours. On peut donc dire que les Patriarches et les Prophètes, en ce qu’ils étaient fidèles à cette religion, était membre du corps mystique du Christ, de l’Eglise ainsi entendue. De la même façon pour ceux qui sont infidèles, soit qu’ils n’aient pas été fils d’Israël avant la Nouvelle Alliance, soit qu’ils n’aient pas été évangélisés pendant le temps où avait déjà pris effet la Nouvelle Alliance. On dira alors que ces hommes qui ayant la foi implicite et vivant selon la loi de la nature sont membres de l’Eglise en ce sens qu’ils font partie de l’âme de l’Eglise. C’est ce qu’il faut comprendre lorsque l’on affirme qu’hors de l’Eglise, il n’y a point de salut.

 

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Deus caritas est

12-11 at 6:13 (Heurs et malheurs, Lectures, Théologie) (, , , , )

« L’évangile nous enseigne que Dieu est amour –Deus caritas est. Dieu a aimé les hommes ; nous imiterons Dieu en aimant nos frères en Dieu. Le premier et le plus grand des commandements, dit Jésus Christ, c’est d’aimer Dieu par dessus toutes choses, le second qui est semblable au premier, c’est d’aimer son prochain comme soi-même. C’est en nous conformant à cette invitation, qui est aussi un ordre, que nous deviendrons parfaits comme notre Père céleste est parfait. Et nous aimerons non seulement nos amis et ceux qui nous font du bien, mais aussi nos ennemis et ceux qui nous font du mal, imitant en cela notre Père céleste qui fait luire son soleil et pleuvoir sa pluie sur les méchants comme sur les bons. Rien de plus clair que ce langage, et tout le Nouveau Testament en est un commentaire vivant.

Avec Platon, nous sommes transportés dans un tout autre monde ; et ce n’est pas étonnant puisqu’il ne se plaçait que sur le terrain de la raison et qu’il ignorait le principe surnaturel. Il voit surtout en Dieu la suprême intelligence se contemplant elle-même. Il en conclut que l’homme ressemblera à Dieu en s’adonnant à la contemplation. Voir, aimer, goûter la vérité, les choses éternelles, s’abstraire totalement des choses périssables, abdiquer les intérêts mondains, voilà le devoir de l’homme ici-bas. Dans une existence antérieure, il a vaguement communiqué avec Dieu, en le suivant dans les mondes en formation. Enchaîné au corps de la vie actuelle, il faut qu’il s’attache aux réminiscences qu’il conserve de sa vie antérieure, et qu’il s’élève par un travail incessant, à reconstituer par la pensée la vérité totale et la beauté souveraine qu’il a jadis entrevues.

Platon nous semble ici confondre l’état présent de la nature humaine avec l’état auquel elle est appelée dans l’avenir. Il est vrai qu’une des fins de notre être sera de contempler l’essence divine durant l’éternité. Mais la fin n’est pas le moyen ; elle implique le moyen ; elle est inséparable de lui-même, mais distincte. La fin de l’homme est bien la contemplation divine, mais pour se livrer sans réserve à cette contemplation, il faut qu’il s’enr ende capable par cet effort vers Dieu que nous appelons vertu. Ainsi, autre est notre destinée finale dans l’autre vie, qui est la félicité résultant de la vue de Dieu ; autre notre loi d’ici-bas, qui est le travail, la vertu. Platon ne soupçonne pas cette distinction.

Remarquons en passant, combien le christianisme se montre plus intelligent de la vraie nature humaine que la philosophie platonicienne. L’Evangile admet la haute valeur de la contemplation ; il en proclame la supériorité sur l’action proprement dite ; supériorité qui ressort d’ailleurs de la nature même des choses, puisque la contemplation est la possession et la jouissance de l’objet dont l’action est la recherche. Et non seulement le christianisme proclame cela en principe, mais il l’applique en pratique, et l’histoire de l’Eglise n’est que l’histoire des Saints que le christianisme prépare pour la vision céleste, en les exerçant, secundum mensuram donationis Christi, à la contemplation terrestre. Mais encore l’Eglise exige t’elle l’action, et lui donne t’elle, dans la vie chrétienne, une palce incomparablement plus grande. La vie de l’Eglise est remplie bien plus encore par l’action que par la contemplation. »

Jean-Baptiste Aubry, Mélanges de philosophie catholique.

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Paulinisme appliqué

6-11 at 8:05 (Apologétique, Arabisme, Histoire, Islam, Théologie) (, , , , , , , )

A l’origine, ce billet se voulait une réfutation des principales assertions de l’apologétique islamique sunnite (précision d’importance) dans sa forme adressée aux « chrétiens ». Y travaillant, je n’ai pas pu m’empêcher d’en tirer certaines conclusions méthodiques, et c’est ainsi que l’idée m’est venue de proposer un patron d’essai apologétique catholique à l’adresse des musulmans.

Sur le terrain des polémiques apologétiques le chrétien à un tour d’avance sur le musulman. Il suffit au chrétien de discuter l’authenticité de la Bible et la Vérité de son message pour convaincre le musulman, tandis que le musulman doit, avant d’établir l’authenticité du Coran et la vérité de sa doctrine, prouver que la doctrine qu’explicite la Bible est fausse et oeuvre tardive d’auteurs inconnus, sans réelle valeur historique. Le Coran entre dans l’histoire après que le christianisme ait été prêché, et la doctrine du Coran s’oriente frontalement contre les dogmes du christianisme, ceci expliquant cela ; dans l’ordre théologique comme dans celui de l’histoire, l’affirmation précède la négation. L’axe central de divergence entre les chrétiens et les musulmans concerne le Christ, pas le Coran et Mohammed. C’est là un axe on ne peut plus chrétien. En conséquence, le chrétien doit conclure avec saint Jean Damascène, que l’islam est une hérésie chrétienne, et ses doctrinaires, des hérésiarques chrétiens. Et je ne suis pas convaincu que l’apologétique catholique ait beaucoup à gagner d’ajouter à l’exposition de la Révélation qui est son objet, quantités de pages philosophiques et historiques, en vue de discuter l’authenticité du texte du Coran. En conséquences, il m’a semblé bon de commencer l’essai apologétique par la réponse à ces questions que peut se poser le fidèle musulman :

1- Qu’est-ce qu’être chrétien ?

 

2- Comment connaître l’enseignement du Christ ?

3- Quel est l’enseignement du Christ ?

L’apologète catholique a un autre tour d’avance sur son confrère musulman, car l’un et l’autre n’accordent pas la même valeur aux textes sacrés. Si un historien, qu’il soit chrétien ou non, prouvait que les deux exemplaires originaux du Coran sont faux, il détruirait le fondement même de la théologie islamique. A l’inverse, si un historien de quelconque confession, prouvait que les Evangiles synoptiques sont des faux, si un musulman prouvait que l’Evangile de saint Jean n’a pas vraiment été écrit par l’Apôtre, il est certain que l’apologétique chrétienne en serait affectée, privée d’une ressource importante, mais il est non moins certain que cela ne saurait l’empêcher définitivement de prêcher. Le coup porté ne serait pas fatal, pour la simple raison que la doctrine catholique ne prétend pas se fonder sur les seules Ecritures Saintes, mais sur la tradition apostolique, qu’elle soit orale ou écrite, ce qui est un cadre bien plus large. Parlant de cela, le principal problème technique de l’apologétique islamique sunnite est que, s’adressant aux « chrétiens » dans leur ensemble qu’il s’agisse des protestants, des orthodoxes ou des catholiques, elle s’appuie néanmoins sur l’idée qu’en critiquant la valeur historique des Ecritures, on ruine les fondements de l’édifice doctrinal chrétien, bien que le postulat de l’Ecriture seule n’appartienne qu’aux multiples sectes protestantes. Catholique, j’ai lu mille petits traités d’apologétique islamique, sans jamais avoir eu l’impression que l’auteur pourrait un jour me faire changer d’avis sur la vérité de ma religion. J’ai simplement pensé qu’il y avait plus de points communs entre un pasteur évangélique et un musulman sunnite que chacun des deux ne voudrait le croire de prime abord.

Ainsi donc, il nous faut établir que le chrétien est un disciple du Christ, membre de l’Eglise qu’Il a fondé, croyant en la doctrine qu’Il nous a révélé, et appliquant les commandements moraux qui en découlent (question n°1). L’apologétique islamique trace souvent un historique de ce mot dont la foule baptisa les premiers chrétiens. Il ne semble pas mal venu de faire de même. Puis il faut préciser que l’enseignement du Christ nous est transmis par la Tradition Apostolique (question n°2). L’Eglise en effet, a été instituée avant que les écrits qui composent ce que nous nommons le Nouveau Testament ne soient composés. L’Eglise est garante de la tradition orale et écrite que nous ont transmis les Apôtres. Joseph de Maistre a raison de dire que l’attachement des protestants à l’écrit est idiot, et que l’enseignement des Apôtres était oral. On le voit bien à travers les Epîtres de Saint Paul, qui sont adressées à des fidèles déjà instruits des vérités de la Révélation. Mais de Maistre va trop loin lorsqu’il oppose l’oral à l’écrit. D’abord parce que l’oral et l’écrit sont complémentaires, ensuite parce que la distinction fondamentale n’est pas là. L’oral et l’écrit sont tous deux nécessaires, et il convient bien mieux d’opposer le dépôt de la Tradition Apostolique à ce qui n’est pas de la Tradition Apostolique, ou se dresse contre elle. Là il faut parler du lien qui unit le nouveau testament à l’ancien. Le musulman considère Jésus comme le Messie qu’espéraient les Patriarches. Il faut donc aussi discuter de l’authenticité des évangiles et des Ecritures judaïques, et prouver la fausseté des apocryphes, en particulier de l’évangile de Barnabé. Puis montrer les preuves de la messianité du Christ. C’est avec la question n°3, nous entrons dans le vif du sujet, qui discute des questions doctrinales et morales. Bien entendu, la réponse aux questions doctrinales implique des arguments éxégétiques tirés du nouveau et de l’ancien testament. Le dogme de la Trinité, la divinité du Christ, sa mort sur la croix en rémission de nos péchés, tout cela est étayé par l’éxégèse.

Sans entrer dans les détails qu’implique l’exposition de la doctrine chrétienne, il est facile de se rendre compte du rôle important que jouera dans cet édifice, la théologie de saint Paul. Si la lecture de chaque théologien permet de comprendre la doctrine chrétienne, nul nous semble t’il, n’est plus à même de faire comprendre aux musulmans leur égarement que l’Apôtre des Gentils. (Et de faire revenir à la véritable Tradition les fils d’Israël qui n’ont pas abandonné la synagogue, ajouterais-je). Ce n’est pas un hasard si l’apologétique islamique cadre ses tirs sur la doctrine de saint Paul. En effet, son enseignement traite tous les points sur lesquels butent les musulmans, de la divinité du Christ à l’abrogation de la Loi mosaïque. L’axe principal de divergence entre les chrétiens et les musulmans est la personne du Christ et ses attributs, avons nous affirmé plus haut. Or les épitres de saint Paul, sont résolument centrées autour de la personne du Christ. Et, autre point qu’il est important de noter, ces mêmes épitres sont les plus anciennes pages doctrinales de la tradition chrétienne.

Un travail de qualité n’omettra pas de traiter des points secondaires de litiges entre l’islam et l’Eglise, comme par exemple, ce qui concerne Abraham, Ismaël et Isaac, et leur rôle dans ce que l’Eglise appelle l’Histoire du Salut.

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Les racines de la pensée chrétienne

12-09 at 12:14 (Encyclopédie, Histoire, Philosophie, Théologie) (, , , , , , , , , , , )

La pensée chrétienne est avant toute chose théologique, et c’est ce qui fait qu’elle est chrétienne. Le point de départ de la théologie, c’est la foi. Sans foi, pas de théologie, et pas de philosophie chrétienne, puisque celle-ci est contenue dans la théologie. Or la théologie a besoin de la philosophie pour expliciter les vérités qui sont l’objet de son étude. Un théologien est nécessairement un philosophe. 

Ainsi les plus anciennes pages de pensée chrétienne qui nous soient parvenues sont celles du Nouveau Testament, des Evangiles aux Actes des Apotres. Même si leurs auteurs n’exposaient pas la leur doctrine, l’essentiel de leur enseignement étant oral, et les Evangiles ayant été écrit afin de rétablir la vérité sur la vie de Jésus, d’exclure les fables pieuses et moins pieuses qui avaient cours dans la chrétienté naissante, ces pages sont essentiellement théologiques. Saint Paul, les Apotres n’avaient probablement pas lu Platon, et même a supposer qu’ils l’aient lu, on ne peut pas dire que l’on en ait trouvé la moindre trace dans les épitres. Le centre de la théologie de saint Paul est le Christ, c’est a dire, dans ses yeux de chrétien, le Messie, le Rédempteur du genre humain, esperé par les Patriarches et annoncé par les Prophètes. De même, l’essentiel des discours de saint Pierre que nous relatent les Actes des Apotres, tournent autour de cet axe fondamental, qui fait de Jésus Christ l’incarnation des prédictions des Prophètes. C’est affirmer un lien particulier entre la doctrine professée par les patriarches et celle de ces premières pages de théologie chrétienne. Les romains ne s’y trompaient pas, qui instruits de la doctrine juive par des sages y associaient celle des chrétiens. Sénèque par exemple, fait souvent la confusion. La pensée de Hegel qui voulait faire du christianisme une synthèse de la théologie juive et de la philosophie grecque est infirmée par l’histoire, puisque les premiers chretiens qu’étaient les Apotres n’ont jamais tiré leur enseignement d’une quelconque philosophie grecque, mais bien de Jésus Christ seul, qui a parfait la Révélation que Dieu avait fait aux Patriarches. Pour adhérer a cette pensée d’Hegel, le chrétien est contraint de ne voir dans le catholicisme qu’une philosophie plus ou moins en rapport avec l’enseignement du Christ, ce qui est impossible aux yeux de sa foi.

Ce n’est que plus tard, avec la conversion de gentils de culture gréco-romaine que l’on voit la philosophie grecque s’insérer dans le cours des raisonnements des chrétiens. Pour expliciter la doctrine, Origène, Tertullien, et saint Augustin se servent des philosophies paiennes de Platon, et de Plotin. Le travail de relecture chrétienne de Platon par saint Augustin s’avère difficile, la philosophie de Platon s’écartant en des points essentiels de celle que sous tend la foi catholique. Saint Augustin nous a laissé un grand témoignage de philosophie chrétienne a travers le livre des réfutations, ou il expose comment la doctrine de Platon, qu’il avait fait sienne sur plusieurs points importants sans un discernement theologique suffisant, l’avait conduit a errer dans la Vérité.

Il y a une philosophie inhérente a la théologie. Il y a une philosophie, une psychologie paulinienne, qui se lit entre les lignes théologiques, c’est une certaine conception de l’homme et dela vie qui s’imprime avec et par la foi. La théologie dispose donc pour son oeuvre d’explicitation et développement de la doctrine, d’une philosophie qui lui est propre, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne puisse pas utiliser une philosophie qui lui est étrangère. Ainsi, au XIII ème siècle, saint Thomas n’hésita pas a se  servir des terminologies et des raisonnements d’Aristote pour expliciter sa théologie. Ici il faut avoir bien a l’esprit les liens qui sont tissés entre la philosophie et la théologie dans la pensée chrétienne. Cette dernière peut etre théologique ou philosophique, mais dans le deuxième cas, elle n’est pas autonome, elle dépend toute entière de la théologie. A ceux qui accusaient saint Thomas, de meler l’eau de la philosophie au vin de l’Ecriture, ce grand théologien répondit : « Ceux qui recourent a des arguments philosophiques en Ecriture sainte, et les mettent au service de la foi, ne melent pas l’eau au vin, ils changent l’eau en vin ». Il faut bien comprendre la que la philosophie de saint Thomas n’est pas celle d’Aristote. Certes la philosophie de saint Thomas est aristotélicienne, mais elle n’est pas que cela.

Par exemple saint Thomas reprend le raisonnement d’Aristote concernant la necessité d’un premier moteur, comme cause première du mouvement. Mais le Dieu d’Aristote n’est pas le Dieu de saint Thomas. Et au dela, le Dieu des philosophes n’est pas celui des chretiens. Le Dieu des chrétien est connu avant tout par la Révélation, pas par le syllogisme philosophique. Le Dieu des chrétiens, c’est cet Etre en qui réside la plénitude des perfections. C’est ce Dieu qui s’est révélé aux premiers hommes, a Abraham, a Isaac et a Jacob, puis a Moise sur le mont Sinai. Celui qui a dit : « Je suis celui qui suis« . Un Dieu personnel, l’Etre en tant qu’etre, que seule la théologie juive a enseigné et connu par la foi et par la raison. La conception de Dieu de saint Thomas d’Aquin découle toute entière de l’Exode. Sa doctrine est explicitée avec l’aide des terminologies et méthodes syllogistiques d’Aristote, mais la substance de cette doctrine est dans l’antique théologie juive.

Certes, il y a dans la pensée grecque quelques points de rencontre avec la doctrine chrétienne, mais cela ne fait pas d’elle une pensée chrétienne. (Si tant est d’ailleurs que l’on puisse parler de philosophie grecque, puisque les Anciens n’ont jamais parlé d’une seule voix). Telles quelles les philosophies grecques ne sont pas chrétienne. Une philosophie ne mérite le nom de chrétienne que si elle se plie au joug de la foi qui répond a la Révélation. Les philosophies paiennes n’ont été christianisée que parce qu’elles ont été judaisées. Pour que l’eau de la philosophie grecque devint chrétienne, il fallut que des chrétiens la changent en un vin suave, celui de la Révélation.

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Mosaïsme intégral -4-

2-09 at 3:55 (Apologétique, Crise de l'Eglise, Heurs et malheurs, Histoire, Théologie) (, , , , , , )

Au moment de boucler cette courte série d’articles sur le même thème, je tombe sur cet extrait du livre de Bernard Lazare, L’antisémitisme, son histoire, ses causes :

« On peut dire que le véritable mosaïsme, épuré et grandi par Isaïe, Jérémie et Ezechiel, élargi, universellement par les judéos hellénistes, aurait amené Israël au Christianisme, si l’Esraïsme, le Pharisaïsme et le Talmudisme n’avaient été là pour retenir la masse des Juifs dans les liens des strictes observances et des pratiques rituelles étroites.

Pour garder le peuple de Dieu, pour le mettre à l’abri des influences mauvaises, les docteurs exaltèrent leur loi au dessus de toutes choses. Ils déclarèrent que sa seule étude devait plaire à l’Israëlite […] Comme on ne pouvait proscrire le Livre, on le diminua, on le rendit tributaire du Talmud ; les docteurs déclarèrent : « La loi est de l’eau, la Mishna est du vin ». Et la lecture de la Bible fut considérée comme moins profitable, moins utile au salut que celle de la Mishna. »

Ce texte d’un juif athée peut être très instructif pour les catholiques qui ne font pas la différence entre le judaïsme mosaïque et le judaïsme rabbinique. Si on peut reprocher par ailleurs toutes sortes de choses à l’auteur, l’idée maîtresse est là : les rabbins et leur enseignement est celui des pharisiens, pas celui que disepnsaient les Patriarches et les Prophètes. Le Talmud laisse de côté la clarté de l’enseignement des patriarches et des Prophètes et sombre dans les fables et l’ésotérisme. Le Talmud ne s’intéresse à Moïse et aux Patriarches que pour leurs préceptes alimentaires et sexuels. Et par dessus tout, dans la droite ligne du pharisaïsme, le Talmud n’attend pas le Messie. Le christianisme prêche le rachat de l’homme par le Messie, conformément à ce qu’attendaient les Patriarches et ce qu’annonçaient les Prophètes. La loi nouvelle justifie, contrairement à l’ancienne (là est l’imperfection de la loi ancienne, dont parlent saint Thomas et saint Paul). Le mosaïsme et ses fidèles espéraient cette justification, le judaïsme talmudique, lui, ne s’en soucie pas.

Mais Dieu est bon, et l’Ecriture nous a laissé une grande espérance concernant le peuple que Dieu a choisi, la dernière prophétie de Zacharie : « Ils se tourneront vers moi qu’ils ont perçé de plaies ».

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Mosaïsme intégral -3-

18-08 at 3:24 (Apologétique, Crise de l'Eglise, Histoire, Théologie) (, , , , , , )

Pour condamner Jésus Christ à mort, le Sanhédrin a dû enfreindre les lois de tradition orale et écrites, consignées dans la Mishna, et ce 27 fois. L’Evangile rapporte même que le grand prêtre déchira son habit lorsque Jésus lui dit qu’il était Fils de Dieu, coutume orientale marquant l’indignation mais interdite aux prêtres en vertu de la dignité sacerdotale représentée par leur habit. Mais nous pourrions dire encore de tous ces faits qu’ils ne sont que des détails, dans la mesure où ils ne sont pris en eux-mêmes, que de simples conséquences. Le point central, causal étant que » la doctrine des patriarches et des prophètes n’avait jamais été autant bafouée en Palestine qu’à l’époque où le Messie parut. Les saducéens prêchaient que l’âme était mortelle au mépris de toute la Théologie juive, et les pharisiens en exagérant les prescriptions mosaïques, les dénaturèrent. L’Attente du Messie n’était plus que secondaire dans leur doctrine, alors que la Loi n’avait été institué que pour permettre au peuple juif de garder la saine doctrine jusqu’à l’avènement du Rédempteur annoncé par les prophètes. La Loi devenait un absolu, à laquelle ils ajoutaient mille prescriptions que l’on chercherait en vain dans la Torah. Saint Siméon, qui priait pour que Dieu lui fasse la grâce de voir de ses yeux le Messie avant de mourir, semble bien hors de son temps, car lorsque le Messie vint, personne ne l’attendait plus en Palestine. Et le soir de la comparution du Christ devant le Sanhédrin, cette assemblée de saducéens et de pharisiens d’ordinaire si prompts à se livrer bataille sur leurs litiges doctrinaux s’entendit parfaitement pour le condamner.

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Mosaïsme intégral -2-

14-08 at 4:39 (Apologétique, Arabisme, Crise de l'Eglise, Heurs et malheurs, Histoire, Théologie) (, , , , , )

Passons sur les citations de l’Ancien Testament qui prouvent que Jésus Christ est bien le Messie, puisque nous sommes entre catholiques, mais permettez-moi chers lecteurs, un mot sur Saint Paul. Les disciples rationalistes d’Hegel ont vu dans le christianisme une simple synthèse, fruit de la fusion de la théologie traditionelle juive, qui faisait figure de thèse d’une part, et de la philosophie grecque, jouant le rôle d’antithèse d’autre part. L’enseignement du maître, respecté en tout point, produit un système naturaliste, qui ne pouvait satisfaire aucune intelligence catholique, aussi n’est-ce pas étonnant que les premiers à avoir discuté la théologie de saint Paul sous cet angle soient des protestants allemands. On peut légitimement penser que de là est venue cette façon de se représenter la théologie paulinienne comme un fatras de culture grecque, aux antipodes de tout judaïsme. Et les apologistes musulmans, s’ils contestent l’authenticité de l’Evangile de saint Jean, sont moins formels concernant les épitres de saint Paul, pourvu que l’on puisse en dire comme les théologiens hégéliens qu’elles sont radicalement opposées à la Loi judaïque. Cette opinion est donc bien majoritaire hors de l’Eglise et même dans l’Eglise, malheureusement. De la part des apologistes musulmans qui n’ont le plus souvent pas lu ni l’Evangile ni les épîtres de saint Paul qu’ils accusent, de tels propos sont excusables, mais rien dans les écrits de saint Paul ne permet d’affirmer que ce géant du christianisme ne se soit pas considéré comme dans la droite ligne de la doctrine des patriarches, ou qu’il ait tenté de démarquer celle-ci de celle de Jésus Christ. En disant de tout croyant qu’il est fils d’Abraham, saint Paul affirme bien que la foi des chrétiens est celle d’Abraham. Et saint Paul, fils de pharisien, très instruit des Ecritures, savait bien ce qu’il disait.

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Mosaïsme intégral

13-08 at 3:34 (Apologétique, Crise de l'Eglise, Heurs et malheurs, Histoire, Théologie) (, , , , , )

On peut lire de plus en plus d’auteurs chrétiens qui affirment que la révélation faite au peuple juif n’était pas la seule, thèse gnostique, ou qu’elle n’était pas une révélation, mais une prise de conscience humaine, thèse rationaliste. Dans les deux cas, l’élection du peuple juif est niée, implicitement ou explicitement. Pourtant si l’on nie l’élection du peuple Juif, si l’on considère que Dieu n’a rien promis à Abraham, à Isaac et à Jacob, alors Jésus Christ n’est pas le Messie, et le christianisme est une philosophie plus parfaite que les autres, mais purement humaine. Et si l’on relativise comme une Simone Weil la révélation faite aux juifs et les promesses que Dieu a faites à Abraham, Isaac et Jacob, on coupe le christianisme de ses racines juives, et ce faisant on altère gravement la doctrine catholique de l’Histoire du Salut. Il faut remarquer aussi qu’en refusant de considérer les racines juives du christianisme, c’est-à-dire en ignorant la continuité entre la doctrine des patriarches et des prophètes, on accepte d’abandonner toute tentative de convertir les juifs, en leur laissant croire qu’ils sont les véritables disciples de Moïse et des prophètes.

L’Histoire du Salut, telle que la conçoit l’Eglise catholique, c’est celle que narre l’Ancien Testament. Adam pèche, et sa chute entraîne celle du genre humain. Dieu est miséricordieux, qui promet un Rédempteur qui naîtra de la postérité d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Le Messie naît, c’est Jésus Christ ; il rachète les péchés du monde en mourant sur la Croix. Mais avant de mourir, il fonde son Eglise, et celle-ci sert d’intermédiaire entre Dieu et l’homme jusqu’à la fin des temps, enseignant la Foi et dispensant les Sacrements.

Si Jésus Christ est bien le Messie promit par Dieu aux juifs en vue de racheter les péchés du genre humain, alors le catholicisme est la continuité de la doctrine des patriarches et des prophètes. Nous catholiques qui reconnaissons Jésus Christ comme le Sauveur, ne pouvons pas penser autrement. C’est tout le sens de la phrase de Saint Paul qui fait de tout croyant un fils d’Abraham.

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Organon

23-06 at 4:49 (Encyclopédie, Heurs et malheurs, Histoire, Lectures, Philosophie, Théologie) (, , , , , )

La Renaissance a méprisé la philosophie du Moyen Age, et plus particulièrement le syllogisme, qu’elle tenait d’Aristote. On trouve de ces moqueries chez Michel de Montaigne : Le jambon fait boire, or le boire désaltère, donc le jambon désaltère. C’est certes amusant, mais ce n’est pas une critique digne de ce nom, car il suffisait de conclure que le jambon faisait que l’on se désaltère, pour que le syllogisme fût exact.

Si vous vous attardez à lire les drôleries publiées à dessein de railler le syllogisme, vous vous rendez compte de la bêtise de leur auteur. Tenez, Eugène Ionesco, par exemple, qui s’attaque au syllogisme d’Aristote, »Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel« , et le remplace par celui-ci : « Tous les chats sont mortels, or Socrate est mortel, donc Socrate est un chat« . N’importe quel logicien du Moyen Age aurait, l’Organon à dans la main droite, débusqué les sophistes qui usaient de ce genre de syllogisme, puisque la majeure, Les hommes ou les chats sont mortels n’implique en aucune façon que seuls les hommes ou les chats soient mortels. Le raisonnement d’Ionesco est un sophisme. En quoi peut-il donc être retenu comme un argument contre l’usage en bon droit du syllogisme ?

Le rapport qu’entretiennent les philosophes rationalistes avec le syllogisme est passionnel. Comme ils savent que la véracité du syllogisme repose sur la majeure, qui est essentiellement inductive, ils le raillent comme ils peuvent. Et pourtant, le rationalisme n’en a pas contre le syllogisme en soi, mais contre l’induction. Dès que le rationaliste s’est débarrassé de l’induction, ils se lance dans la déduction, et use alors su syllogisme à tout propos, en abuse, à en rendre ses pages indigestes. Il refuse d’affirmer comme la majeure d’Aristote que les tous les hommes sont mortels, il attend de le prouver. Or du point de vue de la déduction pure, il est parfaitement impossible de prouver que les hommes sont mortels. Que tous les hommes soient morts jusqu’à présent ne prouve pas que les hommes sont mortels. Ici, le rationaliste devra donc sacrifier sa méthode pour se fier à l’induction ou à l’expérience, sous peine d’être absurde. Mais il est d’autres cas où il ne le fera pas.

L’induction permet de commencer un raisonnement et la déduction, de le continuer. L’usage en bon droit de la déduction permet de confirmer ou non la justesse de l’induction. Et on peut affirmer sans crainte, que la capacité inductive du philosophe grandit à mesure qu’il déduit. A l’inverse, la philosophie rationaliste serait parfaitement stérile si ses auteurs ne revenaient pas sur leurs principes de temps en temps. Bien raisonner, c’est de première nécessité, afin surtout de pouvoir améliorer sa capacité inductive, car le génie est inductif, pas déductif.

Etablissons cette différence entre le paradoxe d’une part, et le mystère de l’autre, qui est la pâte dans laquelle s’introduit le levain théologique. Le rationalisme est un refus du mystère, dans le sens scientifique et catholique du terme. Pas de mystère chez ces comiques qui prétendent tout prouver, mais beaucoup de paradoxes, forcément inévitables. Là où les catholiques s’en remettent à la Théologie introduisant une dimension verticale les rationalistes restent coincés dans la dimension horizontale. C’est une philosophie résolument naturaliste, et un raisonnement inductif seul aime le mystère.

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Méditations scientifiques

21-06 at 7:35 (Apologétique, Heurs et malheurs, Lectures, Philosophie, Théologie) (, , , , , )

« L’idée athée par excellence est l’idée de progrès, qui est la négation de la preuve ontologique expérimentale; elle implique que le médiocre peut de lui même produire le meilleur.

Or toute la science moderne concourt à la destruction de l’idée de progrès et à établir que tout progrès vient du dehors. Darwin a détruit l’illusion de progrès interne qui se trouvait dans Lamarck. La théorie des mutations ne laisse subsister que le hasard et l’élimination. L’énergétique pose que l’énergie se dégrade et ne monte jamais; qu’elle se gaspille et ne s’accroît jamais; que rien ne monte sans qu’autre chose ne soit davantage descendu; et cela s’applique même à la vie végétale et animale.

Principe de l’usage de la science moderne en faveur de la véritable foi. Très important.

La sociologie et la psychologie ne seront scientifique que par un usage analogue de la notion d’énergie, usage incompatible avec toute illusion de progrès; et alors elles resplendiront de la lumière de la vraie foi. »

Simone Weil, Cahier VIII.

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La racine du paganisme

19-06 at 4:37 (Apologétique, Encyclopédie, Heurs et malheurs, Philosophie, Théologie) (, , , )

Pensée détachée :

Comment en finir véritablement avec Dieu ?

Le haïr comme certains athées (je pense aux communistes espagnols), c’est encore croire en Sa présence, vivre avec Lui. (Octavio Paz note dans le Labyrinthe de la solitude, que blasphémer c’est encore croire en Dieu). Notre époque estime non sans raison, que haïr Dieu, c’est encore Lui faire trop d’honneur, que Le prendre en considération, c’est encore trop L’aimer. Elle sait que l’indifférence est plus forte que la haine, car elle permet de sortir du cercle, de rompre le lien qui unit l’homme à Dieu.

Voici tout le paganisme moderne qui est la copie conforme de l’ancien. Le paganisme ancien ignorait la révélation primitive, et se forgeait des idoles en bois. Celui d’aujourd’hui ignore la doctrine catholique et fond des idoles en plastique.

Se fabriquer de faux dieux, et oublier le Vrai, c’est la méthode infaillible pour se débarrasser de Dieu.

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Le sage doux

7-06 at 1:27 (Crise de l'Eglise, Futilités divertissantes, Heurs et malheurs, Lectures, Philosophie, Théologie) (, , , )

« Un sage très doux, de la Revue des Deux Mondes, nommé M. Janet, -doux nom !- personnage d’ailleurs important, appointé officiellement pour distribuer la sagesse, fait de charmants efforts en faveur de la Liberté de penser. Il voudrait délivrer cette aimable fille de ses accointances avec l’athéisme, qui induisent à mal parler d’elle; et même il ne serait pas fâché de lui donner, s’il pouvait, une certaine figure chrétienne. Je dis une figure ! M. Janet ne tient pas à lui changer le caractère. il trouverait même un peu malheureux qu’elle eût autre chose de chrétien que la figure; c’est à dire une partie de la figure, un profil par exemple. Car, toute la figure chrétienne, ce serait beaucoup! Quelquefois, la figure engage plus qu’on en croit; et la Liberté de penser, avec la figure toute, et toujours chrétienne, serait elle encore la liberté ? Mais un profil, à la bonne heure ! On a deux profils, pourquoi l’un des deux ne serait-il pas chrétien ? La Liberté de penser montrerait ce profil aux gens qui sont méticuleux sur la morale. M. Janet se croit lui-même un peu de ceux-là; il signale des allures de la liberté qui l’importunent, qui lui feraient presque peur, qui pourraient l’empêcher de terrasser comme il faut les spiritualistes, les mystiques, les hargneux catholiques, ennemis jurés des expansions de l’esprit humain. Ces timorés crient beaucoup, et ne sont pas sans légitime crédit; le profil chrétien leur fermerait la bouche. Que si pourtant c’est trop demander, et que la liberté ne puisse absolument pas prendre ce profil, alors qu’elle porte au moins une petite croix, -une croix à la Jeannette, -sur sa gorge nue. Beaucoup de dames adoptent cet ornement; il leur sert de profession de foi qui ne les gêne en rien. Elles vont ici et là, elles font ceci et cela; mais, quoi que l’on puisse dire, puisqu’elles ont la croix au col, il y a toujours moyen de répondre qu’elles sont chrétiennes.

Ayant donné ce sage et doux conseil à la liberté, M. Janet se tourne du côté des moralistes et des catholiques, et, avec la même sagesse et la même douceur, il entreprend de les convaincre que la liberté de penser rend à la morale et à la religion des services tout à fait éminents, tout à fait incomparables, tout à fait indispensables. Dans cette vue, il leur pousse honnêtement plusieurs séries d’arguments variés. Si ce n’est pas ce qu’il y a de plus nouveau, c’est du moins ce qu’il a voulu ramasser de meilleur. Ecrivain, ennuyeux au possible, mais homme de grande conscience, et toujours sage, et toujours doux ! Enfin, il arrive à la conclusion de toutes ses majeures, de toutes ses mineures, de toutes ses définitions et de tous ses dévidages : à savoir que le doute, soumettant tout à la critique, procure la seule preuve possible des vérités qu’il faut croire. Et lui-même, M. Janet, n’a pas suivi d’autre méthode pour se procurer le soulagement de croire à l’existence de Dieu, comme toute la rédaction de la Revue des Deux Mondes.

Ils nous disent tous, et tous les jours, beaucoup de chansons que l’on sait ; mais ils les disent si ennuyeusement, si tortueusement, si obscurément ! On y est toujours pris ; on croit toujours que des gens qui se donnent tant de peine vont accoucher d’autre chose. »

Louis Veuillot, Les odeurs de Paris, Livre V, La science.

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Scolastique et rationalisme

2-06 at 9:48 (Heurs et malheurs, Hispanophilie, Lectures, Philosophie, Théologie) (, , , , , , , , , )

-Ludwig Feuerbach, La philosophie de l’avenir

(36) « Alors que l’ancienne philosophie commençait par la proposition : je suis un être abstrait, un être purement pensant, mon corps n’appartient pas à mon essence; la philosophie nouvelle au contraire commence par la proposition : je suis un être réel, un être sensible ; oui mon corps dans sa totalité est mon moi, mon essence même. C’est pourquoi l’ancienne philosophie pensait dans une contradiction et un conflit continuels avec les sens pour empêcher les représentations sensibles de souiller les concepts abstraits; le philosophe nouveau, au contraire pense en harmonie et en paix avec les sens. L’ancienne philosophie admettait la vérité du sensible (et jusque dans le concept de Dieu qui inclut l’être en lui-même, car cet acte devait malgré tout être ne même temps un être distinct de l’être pensé, un être extérieur à l’esprit et à la pensée, un être réellement objectif (objectives), c’est à dire sensible), mais elle ne l’admettait que d’une manière dissimulée, purement abstraite, inconsciente et involontaire, uniquement parce qu’elle ne pouvait pas faire autrement; la philosophie nouvelle au contraire reconnaît la vérité du sensible avec joie, consciemment : elle est la philosophie sincèrement sensible. »

La première question qui vient à l’esprit après la lecture de ces lignes, est évidemment celle-ci : à quelles philosophies Feuerbach fait-il référence sous l’appellation générale d’ancienne philosophie ? L’ensemble du texte nous permet de répondre avec certitude qu’il nomme ainsi la philosophie idéaliste qui est il faut dire, admirablement bien décrite au fil des lignes. On pourrait également y voir le cartésianisme, puisque Descartes est le premier à séparer l’être en deux parties parfaitement hermétiques l’une à l’autre, corps et âme, balayant avec ses principes l’unité de l’être de la philosophie aristotélicienne, et le réalisme scolastique. Ce retour à l’harmonie et à l’unité que Feuerbach appelle de ses vœux par son projet de philosophie nouvelle est une illustration de plus que ce qu’écrivent de plus vrai les rationalistes se trouve de toute façon déjà exposé dans la philosophie scolastique. L’appellation de philosophie sincèrement sensible pourrait parfaitement s’entendre à l’égard de saint Thomas, auteur des Principes de la réalité naturelle.

Cette proposition en dit plus long sur le programme de cette philosophie nouvelle :

(54) « La philosophie nouvelle fait de l’homme joint à la nature (comme base de l’homme) l’objet unique, universel et suprême de la philosophie, et donc de l’anthropologie jointe à la physiologie, la science universelle. »

Il y a ici deux choses à relever. La première c’est l’athéisme de la réforme* voulue par Feuerbach. L’homme et la nature comme seuls objets de la philosophie, c’est affirmer la séparation radicale de la philosophie et de la théologie. A l’arbitraire théologique (pour reprendre une de ses formules), il laisse le soin de palabrer sur les attributs divins, tandis que la philosophie doit parallèlement, ne s’occuper que de l’homme. Pas question ici de voir en la philosophie un appui de la théologie, et en la théologie l’explication surnaturelle de l’homme et de la nature. Au moins Feuerbach est honnête, et emploie le mot réforme (ou peut-être est-ce la traduction française ?); car parler de révolution dans la philosophie quant à cette attitude apparemment anti-théologique serait au moins une plaisanterie de mauvais goût.

Mais puisque Feuerbach ne veut pas subordonner la philosophie à la théologie, puisqu’il lui donne de nobles objets d’études tout en lui refusant le support théologique, c’est donc que cette philosophie va devoir prendre les attributs de la théologie. C’est le grand paradoxe de la philosophie rationaliste, en effet, que de créer de facto l’arbitraire philosophique qui décrète pour lui-même ce qu’il convient qu’il étudie, et comment il convient qu’il le fasse. L’expression science universelle utilisée à la fin du paragraphe indique déjà que la philosophie désirée de Feuerbach fait siens les attributs que la théologie scolastique considérait comme propres à la science théologique. La différence, c’est que la scolastique parlait en théologienne, tandis que la philosophie de Feuerbach doit pour ce faire, emprunter des habits qui ne sont pas les siens.

(61) « Le philosophe absolu disait, ou du moins pensait de lui, en tant que penseur naturellement, et non en tant qu’homme : la vérité c’est moi, à la manière de l’Etat c’est moi du monarque absolu, et de l’être c’est moi du Dieu absolu. Le philosophe humain dit au contraire : même dans la pensée, même en tant que philosophe, je suis un homme uni aux hommes. »

Il faut entendre ici que le philosophe absolu est un cartésien pyrrhonien, qui affirme que la raison peut tout prouver (bien qu’une telle assertion soit un postulat crédule). Une telle expression ne peut qualifier un philosophe scolastique que par le biais de la malhonnêteté, ceci en raison de la subordination de la philosophie à la théologie, bien sûr. Un philosophe pour qui la vérité théologique est une réalité surnaturelle, ne peut se considérer comme détenteur de la vérité, sous peine d’être en contradiction essentielle avec son système de pensée. Un philosophe guidé par sa seule raison, peut également arriver à cette sage conclusion que la vérité ne lui appartient pas. Et affirmer que la vérité n’est pas un attribut humain, c’est se placer dans le domaine de l’induction, c’est à dire au seuil de la théologie.

Deux systèmes théologiques s’affrontent ici : le premier est ouvertement théologique, tandis que le second l’est au contraire de manière dissimulée (pour reprendre un mot de Feuerbach). Le premier, une fois postulée la nature divine et ses attributs, expose les caractères de la nature humaine et les attributs qui lui sont conséquents. Ce système affirme la faiblesse des attributs humains par la grandeur des attributs divins, c’est le système catholique. Le second usurpe une fonction qui ne correspond pas à sa nature, afin de déterminer les caractères de la nature humaine, et ne récupère sa nature philosophique que pour donner à l’homme les attributs de Dieu.

Feuerbach décrit le philosophe régénéré par la réforme qu’il souhaite, comme un homme lié aux autres hommes. Et nous avons écrit plus haut que la philosophie de Feuerbach est une philosophie parée d’attributs théologiques. Nous n’avons plus qu’à constater que le Dieu de Feuerbach est l’ensemble des hommes, (ce en quoi il rejoint le positivisme d’Auguste Comte), et que ce Dieu a un clergé : les penseurs de la philosophie nouvelle. Mais encore, cette formulation est impropre, car ce clergé et le Dieu qu’il sert ne sont pas deux essences distinctes. On touche au panthéisme.

Il peut-être bon de rappeler à présent, ces deux paragraphes sur lesquels commence l’ouvrage dont nous traitons ici:

(1) « Les temps modernes ont eu pour tâche la réalisation et l’humanisation de Dieu -la transformation et la résolution de la théologie en anthropologie. »

(2) « Le mode religieux, ou pratique de cette humanisation fut le Protestantisme. Seul le Dieu qui est homme, le Dieu humain, c’est à dire le Christ, est le Dieu du Protestantisme. Le Protestantisme ne se préoccupe plus, comme le Catholicisme, de ce qu’est Dieu en lui-même mais seulement de ce qu’il est pour l’homme ; aussi n’a t’il plus de tendance spéculative ou contemplative, comme le Catholicisme; il n’est plus théologie – il n’est essentiellement que Christologie, c’est à dire anthropologie religieuse. »

Les ressorts du protestantisme ne sont pas vraiment différents de ceux de la philosophie de Feuerbach. Le protestantisme est comme la philosophie nouvelle un refus de la subordination de l’intelligence humaine à la Vérité Révélée via le principe du libre-examen, ou plus généralement, il est une mystique de l’homme qui refuse de se soumettre à Dieu.

***

Aubry a pu écrire au XIX ème siècle avec lucidité que la philosophie avait rendu un grand service à la théologie, et que la théologie le lui rendait bien à présent. Nous pourrions presque dire aujourd’hui, au regard de tout ce qu’à produit la philosophie rationaliste, que la philosophie rend un grand service à la théologie catholique, car d’une certaine façon, elle prouve ces mots de Donoso-Cortès, que L’homme ne peut sortir des obscurités du dogme catholique sans se condamner à vivre dans une obscurité encore plus profonde.

La philosophie est bien l’histoire de la folie humaine, un témoignage qui subsistera tant que les hommes pourront raisonner, que la théologie -j’entends la théologie catholique- sauve la philosophie. Mais il faut bien dire que cette comparaison de la philosophie moderne avec la philosophie antique (à laquelle Aubry faisait référence) s’arrête là. La philosophie moderne ne présente pas un seul Socrate capable d’affirmer son impuissance. En adhérant à la philosophie des anciens grecs, on pouvait aboutir à accepter la théologie catholique (le rôle de la philosophie grecque dans l’élaboration du système scolastique suffit à prouver cette assertion pour qu’on ait à s’y attarder), tandis que s’il lit la philosophie moderne, l’homme doit la rejeter pour aboutir au catholicisme.

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* Allusion à un autre ouvrage du même Feuerbach, Thèses provisoires pour la réforme de la philosophie, dans lequel ce dernier expose sa vision de la philosophie nouvelle.

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