De la tyrannie

17-01 at 3:12 (France actuelle, Heurs et malheurs, Pensées détachées, Philosophie) (, , , , , , , , , , )

Ce sont des destructeurs ceux qui tendent des pièges au grand nombre et qui appellent cela un État : ils suspendent au-dessus d’eux un glaive et cent appétits.

F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra,

(Un livre pour tous et pour personne).

[1] L’état français a décidé de distribuer de nouveaux droits aux « couples homosexuels », afin de permettre à ceux-ci de « se marier » et d’adopter comme les « couples hétérosexuels ». Le camp du progrès applaudit des deux mains, mais d’odieux réactionnaires croient mener une lutte pour la civilisation. Qu’en est-il vraiment ? Ou soyons plus modestes : essayons de saisir quelle philosophie se dégage implicitement de l’une ou de l’autre position, de quelle liberté, de quel droit il est ici question. Bref, nous voudrions saisir quelques questions éternelles derrière un évènement d’actualité, que ceux (des deux camps) qui vivent dans la tyrannie du présent n’auront pas su dégager assez clairement. Et trancher ces questions rapidement. Et parce que les questions importent plus que les réponses, ces quelques réflexions resteront volontairement suggestives.

[2] Le projet de mariage pour tous s’inscrit dans le cadre d’une société où le droit est forgé et retouché par les mille bras d’un état tentaculaire. Le droit en question est en outre conçu comme un tout devant saisir tous les aspects de la vie, de chacun et de tous. A première vue, rien ne semble plus étranger à cette état des choses, qu’un droit qui s’instaurerait d’en bas (quelle que soit la signification précise que l’on donne à cet en bas). De fait, on n’a pas encore entendu dans un quelconque débat sur le mariage pour tous, une théorie du droit naturel s’exprimer publiquement et revendiquer la fin de ce positivisme vulgaire qui nous mène. C’est d’autant plus notable, que le sujet s’y prête pourtant remarquablement bien. Mais au contraire, il semble que les opposants au mariage pour tous en restent à ce statut d’opposant, et se refusent même à suggérer que leur opposition puisse être fondée sur autre chose que des opinions de tout ordre. En tout cas, le mot nature n’a pas été souvent prononcé, s’il a été prononcé.

Cependant, la question n’a pas non plus été traitée sur le mode du positivisme, et pour cause, quoique l’on pense de la nature du droit, force est de constater que la loi n’a pas ici la force dont les positivistes la revêtent, puisqu’elle n’est pas encore entrée en vigueur. Dans la mesure où ce sont les hommes qui font les lois, celles-ci se discutent comme toute autre action, et c’est très naturellement que les uns et les autres en sont venus à discuter de la pertinence de ce projet. Et mettre cette pertinence en question c’est admettre explicitement ou implicitement qu’il y a un fondement rationnel du droit positif, et comme toute argumentation a un point de départ, un principe pour parler comme les Anciens, la question de ce principe de droit se pose donc toujours au moins implicitement derrière les débats en cours. A ce niveau là de la réflexion, on peut se rendre chaque camp a été amené à affirmer qu’il y a une réalité ou forme de réalité que le droit ne pouvait ignorer. On a entendu dire de la part des « pro-mariage pour tous » que le droit « doit s’adapter à la société », qu’il y a des « familles homoparentales », et que par conséquent il fallait bien un projet de loi qui en tienne compte. Cet argument de « l’adaptation » (laissons de côté la question de savoir s’il est pertinent que cette adaptation se traduise par un changement du droit positif) est d’un profond tragique. Il justifie toutes les craintes de ceux qui s’opposent à ce projet de loi, dans la mesure où il serait un instrument merveilleux pour légaliser  (comme on dit si mal) tous actes et modes de vie. On voit par-là que les polémistes qui s’inquiètent publiquement d’une future légalisation de l’inceste, ou autres comportements déviants.  De ce point de vue-là, nous sommes par-delà le bien et le mal : il n’y a rien qui soit juste ou injuste, et qui doive s’imposer à nous, dans nos actes. Mais nos actes sont la mesure du juste ou de l’injuste. Le droit doit alors suivre la coutume. On pourrait penser que cet argument est la déliquescence du positivisme que nous affirmions triomphant plus haut. Mais il n’en est rien, car comme le néologisme « légaliser » le signifie fort bien, il s’agit de consacrer en Justice des actions qui en elles-mêmes sont d’une neutralité simple. Le juste est donc bien toujours une émanation du droit positif. La vie quant à elle, est démoralisée. A ce niveau-là, le relativisme règne, mais si ces actes venaient à être légalisés, ils seraient justifiés et malheur à quiconque aurait une morale autre que la leur. Ce qu’il faut faire, c’est ce qui se fait et que la loi sacralise : oseriez-vous en douter ?

Le projet « mariage pour tous » nous rappelle ce problème crucial des principes et fondements du droit. Il serait dommage de ne pas s’en préoccuper surtout lorsqu’on inscrit son engagement dans une perspective aussi vaste que celle de la défense de la civilisation.

[3] On pourrait contester la référence à une notion de justice. Dire qu’il n’en est absolument pas question. Mais nous ne parlons pas d’une référence explicite à la justice, mais bien d’une idée implicite de la justice, derrière les discours neutres au premier abord. Lorsqu’on entend parler d’une primauté de la liberté, que le droit doit respecter absolument, il convient de traduire: l’ordre juste est celui qui érige la liberté en valeur suprême.

Une réticence moderne et courante est de ne considérer la justice que comme une valeur, qui émane de chacun (chacun lui donnerait un sens tout personnel) et finalement ne regarde personne. Mais au moins devra-t-on concéder que la valeur dont ils ‘agit ne peut jamais être pensée comme fondamentale, et si l’on en vient à découvrir un arrière-fond à cette valeur, il faut donc la repenser. Il importe donc de clarifier cette notion de liberté. Ainsi que la voient les libéraux, elle est la valeur, mais elle n’a pas grand sens. Pour lui trouver un sens, peut-être faut-il en revenir à cette vieille distinction entre  liberté de et liberté pour. Il va de soi que la liberté mène à tout, sans restrictions, à condition de ne pas s’arrêter en chemin. Et on ne voit pas comment on pourrait tirer de cette gerbe de libertés sans limite, les possibilités d’une vie en commun, ni les possibilités d’une vie bonne. Or la justice, c’est cela. Il convient donc de désacraliser cette liberté emphatique qui se trouve au fond de tous les argumentaires libéraux-socialistes. (Ceux qui disent que le « mariage pour tous » est juste, car il s’adapterait à une évolution de la société, ne disent au fond pas autre chose : les évolutions en question sont les effets de la liberté de). Pour être cohérent intellectuellement parlant, les opposants au « mariage pour tous » devraient revenir sur la profession de foi libérale qui est parfois la leur.

Quelle liberté nous reste-t-il ? Et comment s’articule-t-elle avec le droit ? La seule liberté que l’on puisse invoquer avec à-propos, c’est la liberté pour, qui est soumise aux exigences de la justice, qui ne se laisse certainement pas définir comme l’expression du droit positif. Toute la question est ici de savoir ce que le droit vise, si l’on accepte que le droit positif n’est pas à lui-même son propre fondement. Si l’on opte en toute connaissance de cause, pour la justice et non pour la liberté, on défend un droit positif limité par des exigences supérieures, et une liberté qui ne soit pas juste un droit de. S’opposer au projet de loi « mariage pour tous » c’est en outre, revendiquer une liberté de soustraction à la toute-puissance du droit positif. Cette liberté-là est celle que rejette toute doctrine tyrannique, qu’elle exalte l’Etat, la Loi, la République ou autres merveilleuses constructions politiques refusant de se soumettre aux exigences de la justice. Il ne s’agit pas de poser la liberté en principe du droit, ce qui n’a pas de sens, mais de rappeler une conception du droit telle que le droit positif ne soit pas le seul droit, ni que son autorité ne soit absolue, prétendument supérieure à ce que nous pourrions appeler l’ordre de la justice.

[4] Mais il semble que nous nous soyons éloignés de notre sujet : les fondements du droit. Au nom de quoi contester le projet « mariage pour tous » ? Au nom de la justice ; mais si celle-ci n’est pas une valeur, qu’est-elle ? Revenons en arrière. Les « pro-mariage pour tous » usent de l’argument des évolutions sociales auquel le droit devrait se conformer. Et les « anti », qu’en disent-ils ? Eric Zemmour, pour ne citer que lui, évoque l’ancienneté de l’institution du mariage, et tous, la réalité biologique. Toutes vérités importantes, qui suffisent sans doute à trancher un débat public. Cependant, là n’est pas le point crucial. La question est celle de la légitimité d’une loi, et donc, d’un critère pour en juger. Il est tragique que les opposants au « mariage gay », qui pour une grande partie d’entre eux sont catholiques et donc les héritiers d’une tradition philosophique d’un droit naturel, n’aient pas vraiment saisi ce de quoi il est question. Et ce, alors-même qu’un tel sujet s’y prête disions-nous à merveille. En fait, le sujet évoque immédiatement la notion de nature : un homme et une femme ont des enfants : quoi de plus naturel. Mais ce naturel-là n’est pas encore la nature dont se revendique le droit naturel. On peut dire en un sens très précis, que l’hétérosexualité (terme technique) est naturelle : elle est la voie par laquelle l’espèce humaine se perpétue. Là aussi, c’est un fait massif. Mais enfin, ça n’est pas un argument valable contre le projet de légaliser le mariage pour les « couples homosexuels ». Le projet en question entend donner des droits « à tous », c’est à dire « aux homos comme aux hétéros » : c’est-à-dire, à des hommes en tant que relevant de telle ou telle orientation sexuelle. Ce n’est pas tant l’homme qui est au fondement du droit, que son orientation sexuelle (et il va de soi que cette notion est si proche de celle d’actes sexuels, qu’on peut envisager sans peine une future égalité de droits pour chaque être qui accepterait de se définir par un quelconque acte sexuel). A ceci il faut opposer l’idée que le droit repose sur l’homme en tant qu’homme, ou pour le dire en des termes plus philosophiques, sur la nature humaine. On voit que le droit n’est plus limité au droit positif, car s’il n’y avait ne serait-ce qu’une famille, la notion de « droit naturel » aurait un sens, sans pour autant qu’il y ait un droit positif. Précisons également que l’homme en tant qu’homme, ce n’est pas un individu. L’individu, c’est l’homme pensé comme séparé du collectif dans lequel il s’inscrit par nature (faut-il rappeler que pour qu’il y ait un individu, il faut au moins qu’il y ait eu deux êtres humains ?), c’est à dire de la famille et de la société. Le droit naturel que nous invoquons ici prend donc en compte ces deux dimensions que sont le privé et le public, mais au sens de la vie privée et de la vie publique, auxquelles participent tous les hommes (et non pas au sens ou le public s’opposerait au privé, domaine de l’homme-individu). C’est là le point crucial, s’il fallait en isoler un. C’est là que l’on en revient, après tous les dévidages en tout sens, pro et contra. Pour que nos arguments aient un sens, il faut qu’ils soient ancrés sur la réalité, et non pas n’importe quel aspect de celle-ci, mais bien sur l’essentiel. C’est à partir de là que l’on peut parler de  justice et en tirer les conclusions qui s’imposent en ce qui concerne le bien-fondé du droit positif. Quant à l’exemple du projet de loi « mariage pour tous », il s’agit de saisir s’il n’entrave pas cette exigence de justice qui se fonde sur la nature humaine. Mais plus largement, c’est de là que la morale reprend ses droits. Pas celle, tyrannique, qui prétend se confondre avec le droit positif. Ni celle qui se cache derrière une notion creuse de liberté, et finit par se dissoudre dans un relativisme presque total. Mais celle qui se propose à tout homme, quelles que soient l’idée qu’il s’en fait, parce qu’il est homme. Celle dont les exigences ne sauraient être contredites par le droit positif, parce que celui-ci n’est pas destiné à entraver le déploiement de la justice, mais à le favoriser dans les limites qui sont les siennes.

[5] Parler de morale ici n’est pas parler de morale religieuse. Le droit naturel que nous invoquons est de tradition socratique, puis aristotélicienne. Si le Christianisme médiéval en a hérité, c’est que son dogme et sa structure le permettait. On ne saurait en dire autant du Judaïsme ni de l’Islam. C’est la raison pour laquelle nous avons ramené ces réflexions à la notion de justice. Parler de morale ici, c’est parler de la vie, des actes qui la forment, du but qui est le sien. C’est saisir quels doivent être ces actes pour que l’homme mène une vie heureuse. Telle est la situation aujourd’hui, que rappeler ces choses simples sur la place publique nous vaudrait une haine sans borne de la part de tous ceux -et ils sont légions- qui cherchent à échapper à eux-mêmes, et défendent que se posent cette question de la vie bonne et du bonheur. Or il faut bien que nous nous posions ces questions pour que mériter le nom d’homme. Et ce sont ces questions qui nous font regarder vers la voûte céleste. Dans la mesure où elle permet de se poser de telles questions, la lutte contre le projet de loi « mariage pour tous » est le réveil d’une humanité en perdition.  La civilisation en revanche, n’est pas en péril. Il ne semble pas que l’on perde au change.

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Christianisme et modernité

19-08 at 2:32 (Apologétique, Crise de l'Eglise, Encyclopédie, Heurs et malheurs, Hispanophilie, Lectures, Pensées détachées, Philosophie, Théologie) (, , , , , , , , , , )

« Tout est chrétien, même l’erreur. Ce n’est pas un paradoxe. Le génie du christianisme est si universel, si pénétrant, si radical qu’il imprègne toutes choses. Depuis la naissance du Christ, il n’est rien dans l’homme qui ne soit affecté d’un coefficient religieux. Toute vérité a désormais un aspect religieux. Toute déviation de la vérité, tout sophisme, toute aberration ont une tonalité religieuse. Il n’y a plus d’autre possibilité pour l’erreur de se manifester que sous forme d’hérésie.

C’est là un mystère, un très grand mystère. Mais sans lui l’histoire de l’humanité après le Christ est rigoureusement inintelligible. Sans lui, elle n’est plus, selon le mot terrible de Shakespeare, qu’une histoire de fou, pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot. Si l’histoire a un sens, même dans ses désordres et dans ses chutes, ce sens ne peut être que chrétien. Chaque fois que nous tentons d’aller au fond des choses en matière historique, nous touchons du doigt la présence irréductible et ubiquitaire du christianisme sous sa forme orthodoxe ou sous sa forme hérétique. L’histoire universelle n’a qu’un seul axe le Christ.

Sur le plan social en particulier, tout désordre, tout détraquement s’est toujours traduit depuis le Christ sous forme d’hérésie. Au moyen àge, il n’est point d’attaque contre l’ordre social qui ne soit en même temps une hérésie chrétienne. Le cas des Albigeois est typique à cet égard. Celui du protestantisme à l’aube des temps modernes ne l’est pas moins. Quant à la Révolution française, nul n’a mieux aperçu que Michelet son caractère hérétique. Il l’a exprimé dans une phrase lapidaire « La Révolution continue le christianisme, elle le contredit. Elle en est à la fois l’héritière et l’adversaire »

C’est la définition même de l’hérésie qui sort du sein du christianisme pour le combattre. Comme l’écrivait, voici longtemps, Maritain, « les idées révolutionnaires sont des corruptions d’idées chrétiennes » et « un ferment divin corrompu ne peut être qu’un agent de subversion d’une puissance incalculable. »

Marcel De Corte –  In : La libre Belgique, du 13/XII/1952.

***

« Mes opinions et les vôtres sont à peu près de tout point identiques. Ni vous ni moi n’avons aucune espérance. Dieu a fait la chair pour la pourriture, et le couteau pour la chair pourrie. Nous touchons de la main à la plus grande catastrophe de l’histoire. Pour le moment, ce que je vois de plus clair, c’est la barbarie de l’Europe et sa dépopulation avant peu. La terre par où a passé la civilisation philosophique, sera maudite; elle sera la terre de la corruption et du sang. Ensuite viendra… ce qui doit venir.
Jamais je n’ai eu ni foi ni confiance dans l’action politique des bons catholiques. Tous leurs efforts pour réformer la société par le moyen des institutions publiques, c’est-à-dire par le moyen des assemblées  et des gouvernements, seront perpétuellement inutiles.
Les sociétés ne sont pas ce qu’elles sont à cause des gouvernements et des assemblées : les assemblées et les gouvernements sont ce qu’ils sont à cause des sociétés. Il serait nécessaire par conséquent de suivre un système contraire : il serait nécessaire de changer la société, et ensuite de se servir de celle même société pour produire un changement analogue dans ses institutions.
Il est tard pour cela comme pour tout. Désormais la seule chose qui reste, c’est de sauver les âmes en les nourrissant, pour le jour de la tribulation, du pain des forts. »

Juan Donoso-Cortes – In : Où allons-nous ?, de Mgr Gaume, 1844.

***

C’est parce que l’esprit de la modernité est l’héritier hérétique du Christianisme qu’on ne s’en débarassera pas par autre chose que le Christianisme orthodoxe. Le Christianisme est ici l’antidote, et c’est le seul. C’est là aussi une des raisons pour lesquels c’est la société qui doit changer avant les institutions. Car le Christianisme n’est pas une enième religion sociale, mais elle s’adresse aux personnes qui composent la société. Qu’il y ait des chrétiens, et il y aura une société chrétienne. C’est alors que le Christianisme reprendra ses droits, que ces cortèges monstres de religiosité dégénérée que sont nos idéologies modernes disparaitront. Car le chrétien ne saurait adorer l’oeuvre de ses mains.

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Nihil novi sub sole

3-03 at 6:31 (Arabisme, Heurs et malheurs, Histoire, Islam, Pensées détachées, Philosophie) (, , , , , , , )

Sans doute connaissez vous déjà cette vidéo, qui n’est pas bien récente.

Face à la bienpensance incarnée par Luc Ferry, Rémi Brague rétablit des vérités historiques. La philosophie chrétienne, plus ancienne que la philosophie coranique, n’a pas attendu cette dernière pour discuter des rapports entre la foi et la raison. Elle consacre la raison, en la soumettant à la foi chez saint Anselme, comme le note Brague ; on aurait même pu remonter au delà dans le temps, jusqu’à saint Justin par exemple, qui affirmait déjà au deuxième siècle, que tout ce qui a jamais été dit de vrai est nôtre (nous chrétiens). Il convient d’ajouter aux remarques de Brague que la question à laquelle répond le qadi Averroès ne pose pas le problème de la même façon que l’ont posé les philosophes chrétiens. Pour le philosophe arabe, il s’agit de concilier le droit et la raison, tandis que les chrétiens parlent des rapports entre la foi et la raison. Or, à une telle problématique -celle d’Averroès-  il n’y a que deux solutions possibles, du point de vue latin. Ou bien l’usage de la raison est interdit et l’affaire se termine là, ou bien cet usage est autorisé, et la raison devient alors le critérium de la foi.

Le Fasl al maqal n’est pas un ouvrage dégoulinant de tolérance comme un bouquin de Luc Ferry, c’est entendu. Mais l’idée contraire, qui a cours le plus souvent chez les réactionnaires occidentaux que Dieu me donne parfois de croiser, qui réduit la pensée coranique aux théologiens du kalam est aussi fausse. Les uns pensent que l’islam est une religion tolérante, au sens moderne du mot (sens qui m’échappe à peu près complètement, je me dois de le confesser), et les autres prennent le contrepied de cette affirmation pour le moins arbitraire, par une autre saillie (toute aussi arbitraire) qui assimile l’islam à l’obscurantisme pur et simple. A ceux là, Rémi Brague paraîtra bien-pensant, et quiconque s’avisera de discuter du philosophisme d’Averroès sera considéré comme un aveugle, ou même sera considéré comme acquis à l’islam d’une façon ou d’une autre. Si l’on me permet une remarque personnelle à ce sujet, je pense que cet état de fait s’explique malheureusement par la perte du concept de philosophie chrétienne. On assimile celle-ci à du rationalisme, et on s’étonne alors qu’un musulman ait pu se montrer aussi rationaliste qu’un certain philosophe des Lumières qui parlait d’une religion dans les limites de la raison. On refuse de considérer qu’il y ait des liens entre sa propre pensée et celle d’un musulman. Pourtant, jusqu’à ce que l’histoire ait oublié les doctrines et les noms d’Averroès et d’Avicenne (pour ne citer que les plus connus d’entre les philosophes de confession musulmane), il restera vrai de dire que l’islam a produit des philosophes, outre les théologiens qui refusent d’interpréter au sens figuratif tel verset du Coran qui parle de l’oeil de Dieu.

(A part ça, en ce temps de Carême, n’oubliez pas de redoubler d’efforts pour satisfaire à la Justice de Dieu et mériter Sa Miséricorde.La Pénitence n’est pas seulement un sacrement, c’est aussi une vertu)

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Charte

24-02 at 8:27 (Heurs et malheurs, Lectures, Pensées détachées, Philosophie, Télégrammes) (, , )

« Il y a une question pratique qui pour moi reste insoluble, c’est celle des professeurs. Que (pour les raisons que vous exposez si bien) la doctrine de saint Thomas soit la plus sûre, c’est assez pour que l’Eglise la recommande ou même la prescrive à ses maîtres -et c’est même à ce titre seulement qu’elle peut le faire, puisqu’aucune théologie n’est affaire de foi théologale. Mais le philosophe ou le théologien lui-même qui est chargé d’enseigner, c’est la vérité qu’il doit chercher, et non pas seulement la sécurité (on sait assez que, pour la vérité, il faut courir « de beaux dangers »). Alors il faudrait que tous ils voient la vérité du thomisme, que tous aient les intuitions fondamentales sur lesquelles il vit ? A mon avis une seule chose est absolument essentielle : c’est qu’il y ait, à chaque génération, un petit nombre d’esprit qui voient, et qui soient capables de passer le flambeau. Le seul fait qu’il y aura ainsi continuité et accroisement de génération en génération ne donnera-t-il pas au thomisme, si peu nombreux que soient ceux qui l’enseignent vraiment, une force incomparable (parce que toutes les autres chandelles s’éteignent d’une génération à l’autre) ? »

Jacques Maritain, dans une lettre privée destinée à Etienne Gilson, du 23 novembre 1965.

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Une pièce manquante

22-01 at 7:56 (Apologétique, Arabisme, Heurs et malheurs, Islam, Pensées détachées) (, , , , , , )

Comment exposer la foi chrétienne aux musulmans ?

Peut être, pour trouver une solution à ce problème en apparence insoluble, faut il se remémorer ce qu’est l’islam et quelle est la nature du Coran. L’islam, comme l’a dit saint Jean Damascène, qui a vu son expansion de très près, est une hérésie chrétienne. Le Coran est un livre théologique prêchant une doctrine hérétique en ce qu’il nie la Trinité, la divinité du Christ, la Rédemption et le péché originel. Mais on peut dire que ces hérésies sont des conséquences d’une autre, celle qui nie la Tradition apostolique. On s’en rend bien compte lorsqu’on lit des ouvrages écrits par des musulmans à l’adresse des chrétiens. Tous les dévidages, les syllogismes, les exégèses du Coran et de la Bible aboutissent à confirmer cette conception coranique du christianisme, qui ôte à la doctrine des apôtres tout fondement en Jésus Christ. Chaque musulman croit être parce qu’il est musulman, un authentique disciple de Jésus. C’est de cette assurance, que les musulmans basent sur la révélation que Dieu aurait accordé à Mohammed via l’ange Gabriel, que se tirent les hérésies qu’expose la théologie coranique.

Saint Thomas dans le Contra Gentiles, et dans le De rationibus fidei dit qu’il est difficile d’argumenter contre les musulmans parce qu’ils ne reconnaissent pas les Ecritures : Frustra enim videretur auctoritates inducere contra eos qui auctoritates non recipiunt. Amputé de l’autorité de la Tradition, il ne reste donc que la raison naturelle qui soit notre alliée face aux infidèles, mahométans compris. Si saint Thomas a connu les ouvrages d’Averroès, et d’Avicenne, il a découvert à travers ces deux philosophes péripatéticiens, une conception de la philosophie, du rôle et des capacités de la raison naturelle, qui n’est pas celle des diverses écoles de théologie coranique. De ce point de vue là, on peut même dire que la doctrine d’Averroès est l’exact contrepoint de celle des acharites. Face à un musulman le catholique est en fait plus démuni que ne le croit saint Thomas. (D’ailleurs, saint Thomas n’a jamais argumenté contre les musulmans. Le De rationibus fidei est un exposé de l’intelligence de certains dogmes, ce n’est pas un traité adressé aux musulmans, mais au Chantre d’Antioche.)

Les musulmans rejettent peu ou prou l’usage de la raison, tant en philosophie qu’en théologie, autant qu’ils rejettent l’autorité des Ecritures. Cet état de fait suffit selon moi à justifier l’usage de la théologie positive à l’adresse des musulmans. Si l’on côtoie des musulmans au quotidien, des gens qui ne connaissent que vaguement leur doctrine, qui ne connaissent pas la vôtre, l’usage de la raison naturelle peut sembler le seul pont entre vous et eux. Mais on se rend bien compte de l’importance de la théologie positive lorsqu’après avoir argumenté sur la nature divine, notre interlocuteur rejette en bloc tout notre raisonnement, au motif que la révélation coranique interdit de penser de la sorte. Du reste je ne voudrais pas en proposant ma façon de penser, mépriser toute autre méthode que celle que j’estime le plus. Je ne dis pas que la théologie spéculative, ou la philosophie naturelle soient inutiles face à l’islam (que l’on se rappelle ici de certaines pensées de Charles de Foucauld, qui sont un trésor), mais il importe davantage selon moi, de prouver que la théologie de saint Paul est bien conforme à l’enseignement du Christ, avant de discuter les notions qu’elle implique. Y a t’il un objet qui soit plus approprié à la théologie positive que la doctrine de la Tradition ?

D’autre part, indépendamment de sa valeur apologétique, un tel ouvrage a une valeur intellectuelle. Les musulmans ont une vision déformée des dogmes chrétiens. Si à défaut de convertir, un ouvrage de théologie positive pouvait permettre de diffuser une meilleure compréhension de la doctrine catholique, cela serait toujours un bien, et un bien n’est jamais perdu. D’ailleurs, vu l’état du christianisme en Occident, on peut dire que l’ouvrage en question ne serait pas seulement utile aux mahométans, mais aussi aux chrétiens.

Sauf erreur de ma part, il n’y a aucun traité théologique exposant la doctrine catholique contre les assertions coraniques que l’actualité ait incité à écrire. Il doit y avoir plusieurs raisons à cet état de fait. D’abord, il semble que les chrétiens occidentaux n’aient pas grand souci de convertir les musulmans. Ce qui est vrai des siècles passés l’est encore aujourd’hui ; qui s’inquiète de convertir les musulmans ? Personne. Ensuite, tout porte à croire que le point de divergence essentiel entre l’islam et le catholicisme ait été perdu de vue par les chrétiens, et cette constatation est extrêmement inquiétante. On s’épuise à multiplier les ouvrages et les articles s’inquiétant du sort de la laïcité -comme si un catholique devait se désoler que la laïcité soit en danger ! On explique bien patiemment que l’islam ne distingue pas entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, ce qui est vrai. Mais alors, on ne rappelle que cette distinction est une application du commandement du Christ  » rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » qu’à titre annexe. L’islam n’est pas perçu comme une religion, mais comme une seule philosophie politique, à laquelle on oppose de moins en moins souvent la philosophie chrétienne. En ce qui concerne l’avenir de la France, ma crainte principale n’est pas tant que le nombre de fidèles musulmans ne s’accroissent jusqu’à devenir majoritaire, c’est que les fidèles catholiques manquent de théologie face à cette doctrine.

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Contra spem in spe

3-01 at 1:45 (Année liturgique, Pensées détachées, Télégrammes)

Meilleurs voeux à ceux qui supportent de me lire, régulièrement ou à l’occasion, aux premiers venus comme aux derniers arrivés, aux chrétiens en particulier, aux impies aussi. A l’occasion de cette nouvelle année, je souhaite à chacun d’entre nous de répondre à la grâce de Dieu, afin de progresser sur le chemin de la sainteté. Le reste est secondaire, comme vous le savez.

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Sine qua non

3-12 at 7:46 (Pensées détachées, Philosophie) (, , , , )

Il faut aimer le pécheur et haïr le péché.

Cette distinction est de première évidence. Mais il convient de remarquer que l’un  et l’autre de ces sentiments sont liés. A mesure que l’on hait davantage le péché, notre amour pour le prochain va croissant. A contrario, si l’on ne hait pas le péché, on se montrera incapable d’aimer le prochain d’un amour surnaturel.

La haine du péché est condition sine qua non de l’amour véritable du prochain.

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